Je voudrais défendre cette idée, complètement à contre-courant, que seule l’exigence nous préserve d’être déçus. D’habitude, on nous invite, quand on est jeune, à limiter nos ambitions. N’en demandez pas trop à la vie, nous répètent les vieux barbons à longueur de temps, sans ça vous risquez d’être déçus ! Mais je n’ai pas du tout envie de leur sagesse, elle me parait la triste suite d’une vie, où, au contraire, on n’a pas visé assez haut ! Limiter ses désirs, ne travailler qu’à coup sûr, se contenter des joies et des plaisirs à la petite semaine, vous trouvez cela digne d’un cœur qui bat ? Moi pas.
L’exigence, c’est d’abord l’exigence pour nous, et c’est çà qui nous maintient la tête hors de l’eau. Il y deux manières d’en vouloir plus : plus d’avoir ou plus d’être, il faut choisir. Selon l’ordre de la quantité, c’est perdu d’avance, on peut toujours chercher à grossir son chiffre d’affaire, on n’aura jamais tout qu’on voudrait posséder et, même si on gagnait sur un plan, on serait vite triste d’en voir qui nous dépassent sur un autre ! Mais, selon l’ordre de la qualité, tout nous est ouvert, au contraire. Aujourd’hui, je peux me dépasser, en préférant ce qui en vaut la peine à ce qui est vraiment nul, même si tout le monde s’y complait,
Savoir préférer une joie à une autre, un vrai service à un simple passe-temps, un quart d’heure de prière à un quart d’heure de farniente, c’est le secret pour avancer. Tout n’est sur le même plan dans notre vie. Tout ne se vaut pas, malgré ce qu’on dit. Il y a des choses qui ne nous font pas grandir, il y en a d’autres qui nous propulsent en avant. Préférer ne veut d’ailleurs pas dire qu’on jette à la poubelle ce qui n’est pas le mieux, il y a un temps pour tout, un temps pour se détendre et un temps pour aimer. Mais la détente n’est pas une fin en soi, c’est un simple moyen pour reprendre sa respiration avant d’aller à l’essentiel.
Si on veut s’assurer qu’il y a des choses qui en valent la peine, il faut faire intervenir le facteur temps. On n’a rien sans rien, l’essentiel doit se préparer, se goûter, se prolonger. Quand je prépare un bon dîner, je n’aime pas que mes invités le liquident en cinq minutes ! Les choses importantes ont besoin d’être attendues, reçues, pas n’importe comment. C’est pourquoi l’Eglise est drôlement sage de nous demander, à nous les garçons et les filles, d’attendre avant de nous donner pour de bon. Vite consommé, vite jeté, c’est bien connu. Si on veut tout égaliser, tout rabaisser, tout profaner, il faut continuer comme on est parti. Mais l’amour vaut mieux que cela !
Et puis surtout, il y a Jésus. Si vous voulez de lui, il va falloir lui laisser l’initiative. Pas moyen d’accéder à son amour, en expédiant l’affaire en cinq minutes chrono ou encore en lui accordant une petite place bien limitée dans l’ensemble du paysage. Si on veut l’avoir pour de bon, il faut le préférer à tout. C’est lui qui nous en avertit : « celui qui ne me préfère pas à père, mère, enfant n’est pas digne de moi ! ». C’est clair, non ? Mais quelle joie au bout du compte ! Au lieu de cultiver mon petit jardin, j’ai les grands espaces devant moi, je peux courir, rire, m’arrêter, sangloter de joie. Je l’ai, mon beau, mon grand, mon merveilleux amour et nul ne me l’arrachera !
Jonas