Largement saluée par la critique, l’adaptation de Xavier Giannoli est allée jusqu’à relancer les ventes du roman de Balzac. Il faut dire qu’elle soulève son actualité terrifiante, notamment notre obsession pour l’évaluation marchande. Pour l’exprimer, le cinéaste s’appuie notamment sur le symbole des marguerites.
Rêvant de poésie, Lucien de Rubempré (nom plus chantant, indubitablement, que celui de son de baptême, Lucien Chardon) va découvrir Paris ; et à Paris, l’implacable logique monétaire. Ce monde où l’opinion est soumise à l’argent lui plaît d’abord, puisque le journalisme qu’il embrasse lui offre deux types de pouvoir : celui qu’apporte une bourse bien remplie et celui, plus enivrant encore, de l’influence. Car alors tout ploie sous la volonté de Lucien, qui apprend à jouer selon ces règles nouvelles. Le film marque ainsi la distance qu’il y a de sa première rencontre avec l’éditeur analphabète (Gérard Depardieu, magistral) à l’entretien où il obtiendra moyennant chantage que l’homme publie son juvénile recueil de poèmes : Les Marguerites. Le réalisateur, confronté au difficile exercice de trier les éléments de ce vaste roman, choisit en effet de rythmer les étapes de son film grâce à ces poésies que Lucien voulait faire publier à Paris. Si les Marguerites sont aussi un leitmotiv dans le roman, la place que leur accorde Giannoli est tout à fait singulière. Visuellement, la modestie du recueil, pauvrement relié, s’oppose aux fastes des fêtes toujours plus débridées que donne Lucien, qui met le comble à ce contraste en se faisant couper un costume orange flamboyant. Mais à quoi bon devenir Rubempré si l’on produit des chardons ?
C’est dans cette antithèse peut-être que le film sert le mieux la pensée balzacienne. La fin de l’Ancien Régime et l’avènement d’une société commerçante, entièrement tournée vers l’argent, signent pour le romancier l’entrée dans une nouvelle ère : celle du relativisme. Les absolus et les personnages qui les incarnent sont progressivement broyés par la machine. Le film de Giannoli illustre cette rupture, marquée par le passage d’Angoulême à Paris. A Angoulême, le prix des choses est absolu : la caméra est braquée sur des objets d’art, à la valeur intrinsèque. A Paris, elle s’attarde sur une tête de taureau, régulièrement mise en scène et ornée : l’objet devient un symbole, qui n’est chargé que de la valeur qu’on veut bien lui accorder. Et qui n’est pas sans rappeler un certain veau d’or…
Au fond, ce que souligne le film n’est pas tant l’emprise néfaste de l’argent que la responsabilité collective des hommes qui renoncent à l’absolu. On s’attache à Lucien parce qu’il conserve en lui le désir de publier ses Marguerites, désir dérisoire, mais qui traduit une aspiration à s’élever au-dessus du pur matérialisme pour retrouver les absolus : une littérature qui cherche le Beau, des médias qui cherchent le Vrai, des puissants qui cherchent la Justice. Lucien y croit encore, mais dans la société parisienne qu’il rencontre, tout s’effrite et seule compte une pensée de caste où les camps s’affrontent en permanence pour leur profit. Et la petite Coralie, si aimante, devient la victime de tous, et Loustaud, interprété par un Vincent Lacoste qui a décidément fait du chemin depuis les Beaux gosses, nous amuse de sa légèreté, mais jusqu’à la nausée. Qu’il est triste de voir piétiner des marguerites !
La perspective adoptée par Giannoli témoigne du besoin de notre époque de retrouver un thermomètre : tout ne se vaut pas, tout n’est pas vrai. Pour retrouver le véritable prix des choses, il faut retrouver celui qui unit tous les absolus et qui inscrit dans toutes les consciences le désir de leur quête.
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