Vous n’avez pas pu passer à côté : Spiderman, No Way home, est devenu en quelques semaines le sixième plus grand succès cinématographique de tous les temps, après Avatar, Avengers ou encore Star Wars. Peut-être est-ce en partie parce qu’il est spirituellement très juste ? Analyse d’une œuvre étonnamment profonde.
C’est le troisième opus solo pour le Spiderman incarné par Tom Holland, fait un carton au box-office mondial. Il s’agit du 8e film centré sur l’Homme Araignée puisqu’il y a déjà eu 2 autres grandes versions filmiques, avec 2 autres acteurs dans le costume du superhéros Spiderman aka Peter Parker : la trilogie initiale avec Tobey Maguire (2002-2004-2007) et le « reboot » avec Andrew Garfield (2012-2014). Pour ceux ayant vu les précédents films Spiderman, découvrir « Spiderman : No way home » procure une surprise comparable à celle qu’a dû vivre en salle le public de Star Wars 5 quand Dark Vador dit à Luke « Je suis ton père ». Donc pour vivre cette émotion, voyez le film avant de lire cette chronique… Spoiler alert !
Le film intègre les méchants iconiques apparus dans des précédents films Spiderman. Le mystère sur le retour des Spidermans eux-mêmes plane longtemps. Il faut attendre 1 heure et 24 minutes pour la scène mythique de la réapparition d’Andrew Garfield puis de l’interprète original du héros, Tobey Maguire. Des vidéos impromptues dans les cinémas du monde entier font entendre à ces deux instants des cris d’enthousiasme pur. L’entrée des personnages, saluant lentement, semble avoir été pensée pour accompagner l’engouement du public… et ça marche !
Un retour plein de joie et de sens
Marvel, dans la force de sa liberté créative, propose la seule manière – à la fois totalement fonctionnelle et totalement déjantée – de faire revivre les versions précédentes de Spiderman : introduire le concept du multivers, par lequel elles peuvent cohabiter.
Ce retour improbable produit son effet. Pour préserver la surprise, Sony a eu à cœur de mettre les moyens pour cacher le retour des acteurs et éviter les fuites. Et ce n’est pas là un caméo [apparition d’une star dans un film, ndlr] ou un pur clin d’œil nostalgique pour faire plaisir aux fans : dans tout le reste du film, les trois versions différentes du héros vont interagir. Alors que Matrix 4, sorti concomitamment, essaie de faire revenir 18 ans plus tard les héros d’une trilogie déjà close, sans convaincre de son intérêt narratif, Spiderman No Way Home rend le retour des héros salutaire. Le matériau de départ est pourtant tout aussi légendaire que Matrix, Star Wars ou Harry Potter. Les films Spiderman, majestueux, ont enregistré des budgets et des scores d’audience records. Spiderman 3 fut le film le plus cher jamais réalisé, dépassant les 258 millions de dollars. Mais les deux versions précédentes s’étaient arrêtées brusquement, de manière imprévue, respectivement après 3 et 2 films pour être « rebootées », c’est-à-dire supplantées par un nouveau casting et reprises à zéro comme si elles n’avaient jamais existé. Ce nouveau film Spiderman permet de réparer ces cassures et de compléter des arcs narratifs qui étaient restés ouverts.
Ce retour donne aussi à Spiderman la saveur d’une saga construite sur deux décennies, et une profondeur nouvelle, en plaçant de façon inattendue au cœur du scénario… la Rédemption. Celle-ci est bien la pièce maîtresse du film : les Spidermans sauvent les méchants, se sauvent mutuellement, et ainsi se sauvent personnellement. La miséricorde connaît une acception inconditionnelle qui correspond à l’approche chrétienne. Les trois Spidermans, par leurs comportements et la confrontation philosophique avec les méchants, disent beaucoup de l’Homme et disent beaucoup de Dieu.
C’est d’abord l’intrigue elle-même qui est subversive, à contrepied de la logique habituelle des comics. L’histoire commence par la décision de Spiderman de ne pas renvoyer les méchants à leur sort et d’essayer de les sauver. Il s’oppose à son mentor, Docteur Strange, l’homme sage, qui affirme que dans l’ordre des choses, mourir est leur destin : on a d’ailleurs vu la triste fin de ces supervillains dans les précédents films. Ici, corrigeant les films originaux, ils reçoivent une seconde chance. Certes, Spiderman a toujours été un personnage moral. Sa mission a toujours consisté à sauver son prochain des griffes de méchants corrompus. Mais pour la première fois, son prochain est justement… cet ennemi.
Les vilains opposés aux super-héros comme Spiderman sont traditionnellement construits à la fois sur un schéma de fatum [fatalité de la tragédie grecque ndlr], puisqu’un enchaînement d’incidents malencontreux les fait devenir inéluctablement méchants, mais également sur des défauts évidents qui en font des candidats idéaux à la déchéance morale et les rend en partie responsables de leur chute. Autrement dit, ils sont des pécheurs méritant plus ou moins leur sort. Or c’est ce motif du méchant impardonnable, du méchant au-delà de toute rédemption, que vient renverser le film. Des personnages normaux qui deviennent méchants, passage obligatoire du genre, il fait des méchants qui redeviennent bons, en corrigeant leur fin. Et ça, c’est original !
L’idée d’administrer un remède pour guérir les vilains de leur mal présente un parallèle spirituel évident avec l’exorcisme : ici, les supervillains sont montrés comme relevant de la possession. C’est de manière très nette le cas du « Bouffon Vert », alias Norman Osborn, dans le film. Dans le Spiderman de 2002, il venait tourmenter la Tante May quand celle-ci récitait le Notre Père, l’obligeant narquoisement à répéter le « Délivre-nous du Mal ». Dans celui-ci, il apparaît aussi comme portant le discours du Diable : réitérant la tentation du Jardin d’Eden, il provoque le Spiderman : « le monde te force à choisir, mais les dieux n’ont pas à choisir […] Tu es assez fort pour tout avoir, mais trop faible pour le prendre ! » Il nargue la « sainte mission morale » de rédemption portée par la vieille Tante May et dit à Tom Holland que ses principes moraux sont sa faiblesse. « Nous n’avons pas besoin d’être sauvés, pas besoin d’être réparés », lance-t-il dans des termes explicitement théologiques.
Le film montre que choisir le camp du bien n’est pas facile. Malgré leur déréliction, malgré le sort qui les attend, les vilains ne veulent pas changer, leur péché reste attirant. « Docteur Octavius » refuse de voir son état, de considérer son péché en face, et estime ne pas avoir à se rectifier. « Electro » est fier de l’importance que lui donne ses superpouvoirs de vilain. « Le Lézard » s’enorgueillit de son apparence post-humaine. Tous se plaignent que choisir la mort ou accepter de se faire guérir ne serait pas un vrai choix.
De même, le pari initial du Spiderman Tom Holland face à Dr Strange, s’il est spontané, présenté comme découlant de la bonté intrinsèque de Peter Parker, n’est pas montré comme choix anodin : il va en effet lui coûter cher. Pour la première fois, le Spiderman de Tom Holland, qui avait réussi à concilier sa mission de super-héros et sa vie normale, donnant une teinte de frivolité à ses deux précédents films, va poser un choix de sacrifice à la fin du film, acceptant d’être oublié de tous. La terrible réalité du Mal n’est par ailleurs pas édulcorée, puisque les méchants s’en prennent à ce que les Spidermans ont de plus cher, leurs proches, les obligeant à tester la force de leurs convictions morales : ici la mort émouvante de Tante May vise à ébranler le combat de Spiderman Tom Holland au service du Bien.
Les trois Peter Parker agissent ensemble à trois pour sauver les méchants. Pourquoi le font-ils ? Tout simplement parce que « c’est ce que nous sommes ». « Trois en Un » répète la chanson du générique. C’est qu’il s’agit de trois frères, mais ces trois garçons du même nom comme la triade de Roublev, font écho à la dynamique trinitaire. « Peter 1 » Holland agit comme le Père, en tant que déclencheur – son plan de sauver les méchants ; « Peter 2 » Maguire comme le Fils dans son acceptation de donner sa vie ; « Peter 3 » Garfield comme lien d’amour et facilitateur, ainsi de l’Esprit.
Et ce n’est pas tout.
Il y a toujours eu des motifs chrétiens dans les Spiderman. La religion chrétienne, qui irrigue encore la culture américaine, fait respectueusement partie des meubles. Exemple très explicite d’imagerie chrétienne : la scène du train dans Spiderman 2. L’acte héroïque où Spiderman Peter Parker se donne jusqu’au bout de ses forces reproduit la crucifixion puis la descente de croix, avec le côté droit percé, et la mise au tombeau du Christ. La connivence est évidente ; il est possible de ne pas la voir, et un public non chrétien ne l’apercevrait peut-être pas, mais elle n’est pas coïncidence. On se plaît à constater dans No Way Home que les 2 Spidermans entrent dans des plans ornés de la croix, celle accrochée au mur du salon de Ned. En outre, il y a déjà eu dans les films de Spiderman des principes chrétiens en actes, des rédemptions finales, des pardons. Mais pas pour le Bouffon Vert, premier méchant qu’affronte Spiderman, et dont la mort hante les épisodes suivants et fait vriller son propre fils – ce qui illustre bien que le péché entraîne le péché en cascade. Et dans cet opus, plus qu’une morale noble, c’est la générosité de l’amour offert sans limite qui est authentiquement chrétienne.
Ce qui aide à la force du message de No Way Home est qu’il s’appuie sur le matériau des films précédents. La patine temporelle accentue le contraste entre l’héritage des anciens films où les personnages ont été anéantis et celui-ci où on les retrouve « unifiés », comme dit Dr Octavius le premier méchant guéri, c’est-à-dire sauvés. Le temps qui passe s’avère être atout unique, également au service de l’évolution des Spidermans.
Les acteurs eux-mêmes ont participé à l’écriture de leur personnage, et ont médité sur la propre évolution de celui qu’ils connaissent intimement pour l’incarner.
Tobey Maguire, l’acteur le plus âgé, est devenu une belle figure de mentor bon et sage, maturité qu’il n’avait pas encore dans sa trilogie. Aux jeunes hurlant « ça va saigner ! », il réplique « Non, ça va soigner ; il faut les soigner. Tous. » – sous-entendu pas d’exception, même pour l’horrible Bouffon Vert. Toutes les scènes avec Tobey Maguire font référence à des scènes de ses propres films, de même pour la bande-son. Et une des scènes, 19 ans plus tard, offre un parallèle christique saisissant : dans le film original de 2002, le Bouffon Vert lance son glisseur sur Spiderman qui grâce à son sens araignée, l’évite, et le glisseur vient transpercer le Bouffon Vert. Il meurt donc de sa propre faute, ce qui est bien souligné dans les films suivants, sans que Spiderman ne l’ait tué donc n’en soit responsable. Mais cette fin, il le dit dans ce film, 19 ans plus tard, ne lui est jamais apparue comme satisfaisante. Dans une des scènes finales, alors que le Bouffon Vert va être tué à nouveau par le glisseur que lance sur lui un Tom Holland vengeur, Spiderman Tobey cette fois s’interpose. C’est lui qui est alors transpercé par les lames du Bouffon Vert, ce qu’il avait très bien pu anticiper par ce même sens araignée qui le prévient du danger. Il a donc accepté de donner sa vie pour son ennemi. Il y a 19 ans, Norman Osborn alias le Bouffon Vert est mort. 19 ans après, il revient pour être guéri, ce qui passe par le sacrifice ultime pour Spiderman – le choix de présenter sa propre vie en échange. Plus tôt dans le film, Garfield était prémonitoire dans sa réplique à Tobey Maguire en disant de son Peter Parker qu’il ressemblait à « un pasteur de jeunes cool ».
Il n’y a pas besoin d’être chrétien pour apprécier la tonalité pleine d’espérance du film : le redressement improbable des méchants emblématiques, ce qu’on avait pourtant vu condamnés à mourir. La joie de la rédemption, joliment illustrée dans ce film à grand budget, ne répond-elle pas aux aspirations profondes du cœur humain ? Quittons nous sur une ultime bonne nouvelle : ce n’est pas seulement un film ; c’est, selon les chrétiens, l’histoire de ce que Dieu a fait pour l’Homme.
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