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Tribune

​Chaque année, Martin, 25 ans, appelle une ancienne amie du lycée. Cette année, elle lui a demandé, encore une fois, comment il pouvait encore être catholique et adhérer à «  une institution avec des idées si arriérées qui n’applique pas ce qu’elle proche ». Martin le reconnaît volontiers, « à une époque où les soirées en boites de nuit s’enchaînent comme à Versailles au temps de Louis XIV, pas facile de se comporter comme une petite Thérèse de l’Enfant Jésus. » Alors pour lui répondre, il a décidé de prendre la plume.

 

Une belle matinée du mois de septembre, j’appelle une vieille amie du lycée avec qui j’ai créé un lien d’amitié très fort. Comme nous vivons chacun à l’autre bout du monde, nos appels sont espacés, mais réguliers, suffisants pour pouvoir se raconter les péripéties les plus importantes ou les plus insolites de nos vies. Notre dernier coup de fil datait d’avant les vacances d’été : elle avait sûrement des choses à me raconter. Après le rituel des « comment ça va ? » et des « quoi de neuf ? », nous finissons par arriver à l’habituel : « Que vas-tu faire cette année ? ». Je lui explique que je finis mon mémoire ; elle me demande si j’habite toujours dans ma paroisse. Elle sait que je suis catholique : durant nos années lycéennes nous avions eu plusieurs discussions sur l’existence de Dieu, la foi, et surtout les questions de mœurs et de morale. C’était dans un lycée français à l’étranger : j’étais entouré de jeunes pour qui la foi catholique est l’idéologie d’une institution ringarde qui aime dénigrer le plaisir. Les films regardés à l’adolescence, les auteurs étudiés en cours, et même certains professeurs, n’ont pas aidé à créer une bonne image de l’Église… Et pour ce qui est des mœurs et de la morale, le fait d’être dans une petite ville dynamique, où les boîtes de nuit étaient facilement accessibles et où les soirées s’enchaînaient comme à Versailles au temps de Louis XIV, n’incitait pas à se comporter comme une petite Thérèse de l’Enfant Jésus.
Comme d’habitude, elle s’est moquée gentiment de ma foi et m’a demandé (une énième fois) comment je pouvais adhérer à une institution avec des idées si arriérées et un comportement en décalage avec ce qu’elle prêche. Comment pouvais-je demeurer fidèle à une institution en proie au scandale d’abus sexuels ? Ces questions peuvent sembler narquoises, provocatrices, mais sont légitimes. Elles s’accompagnent d’incompréhensions récurrentes dans la société civile quant au célibat des prêtres ou la non-reconnaissance par l’Eglise d’une union homosexuelle. J’ai perçu que ses questions se focalisaient principalement sur des problèmes d’organisation : l’Église étant une institution humaine ses problèmes sont aussi de nature humaine. Mon amie ne croit pas au spirituel ; il est donc logique que, comme beaucoup d’athées, elle éprouve de la suspicion envers des chefs religieux qui promeuvent des valeurs de vertu et de maîtrise de soi, surtout s’ils sont publiquement connus pour ne pas les appliquer. La première chose à faire, c’était de clarifier qu’un catholique n’est pas membre de l’Église pour adorer un prêtre ou un religieux, un catholique est membre de l’Église pour suivre et adorer Dieu.

 

Le prêtre et le religieux ne sont pas Dieu

L’un des plus grands dangers pour les catholiques, comme dans n’importe quelle institution religieuse, c’est l’aveuglement des croyants face au charisme d’un prêtre ou d’un religieux. Le pouvoir de son prêche, sa façon de célébrer la messe, son caractère et ses talents sont des attraits puissants. Ils ne sont pas un mal en soi, puisque certains peuvent puiser dans ce charisme la force d’améliorer une situation personnelle, mais le danger arrive lorsque le religieux cherche à abuser de ceux qui ont confiance en lui pour leur imposer ses désirs ; au risque que l’abusé forge un amalgame entre l’homme religieux et Dieu, ou considère que ce religieux est le seul à pouvoir lui faire connaître Dieu. Or, un catholique n’est pas dans l’Église pour adorer le clergé ; il y est pour rencontrer Dieu.

Le jour de ma rentrée universitaire, le professeur référent contre les abus sexuels de mon université a sobrement abordé le même sujet en disant : « C’est une réalité, ce sont des choses qui existent parce que ce sont des problèmes humains. » Il a bien fallu reconnaître devant mon amie que, dans l’Église catholique, nous oublions souvent que les prêtres et les religieux sont humains, qu’ils ont les mêmes faiblesses que tout le monde, les mêmes fatigues, les mêmes peurs, les mêmes sentiments… Nous disons souvent « prions pour nos prêtres », mais il faut convertir cette prière en actes et prendre en considération les inquiétudes des religieux, dans un chemin commun d’humilité. Dans les milieux catholiques, on peut avoir tendance à considérer les prêtres comme des surhommes, capables de tout, de résister à tout ; combien de fois ai-je entendu : « ce prêtre est un saint ! », sous-entendu : ce prêtre ne peut faire du mal à personne. Ne pas reconnaître que les prêtres sont capables de faire le mal est une attitude évidemment dangereuse. Or, de façon générale, pour que les membres d’un groupe reconnaissent que le mal existe en son sein, il faut déjà qu’ils soient en mesure de reconnaître individuellement qu’ils le commettent également. C’est le principe de la confession, expliquai-je à mon amie, et c’est la force de ce sacrement de nous aider à ne pas perdre de vue l’inévitable imperfection de nos membres.

 
La réforme dans l’Église : fruits de la reconnaissance du mal au sein de l’institution

Il fallait de plus préciser à mon ancienne camarade de lycée que les problèmes humains dans l’Église ne datent pas d’aujourd’hui. La preuve étant les vingt-et-un conciles tenus par l’Église pour traiter les questions de théologie mais aussi, et même très souvent, les questions de la discipline de ses membres et dirigeants.

Ce travail constant se distingue nettement d’une logique consumériste à rebours de nos pratiques actuelles : lorsque nous expérimentons qu’un service ne fonctionne pas correctement, nous en prenons un autre ; lorsqu’une personne nous ne plaît plus, nous en cherchons une autre. Depuis soixante-dix ans, il y a eu une tendance dans l’Église à considérer que la christianisation se limitait à seulement développer des techniques et des évènements pour attirer le plus de monde possible ; en somme une logique de marketing en dépit de sa vraie mission qui est d’annoncer et vivre la parole. Ainsi se construit l’image d’une institution qui ne valoriserait que ce qui est attirant, où le premier signe de faiblesse serait perçu comme un échec du message tout entier. Heureusement, cette façon de faire est aujourd’hui en déclin mais un autre obstacle pourrait nous séduire : le refuge dans l’entre-soi. Je racontai ainsi à mon ancienne camarade de classe en rigolant que, les catholiques ayant tendance aujourd’hui en France à venir d’un milieu réduit, nous nous amusions parfois avec des amis à jouer dans les rues à « trouver le catho » tellement ils étaient reconnaissables. Blague à part, je lui appris aussi que malheureusement l’entre-soi nous avait poussés à adopter une attitude défensive, avec son corolaire, la propension à percevoir la critique comme une attaque personnelle. Difficile alors de ne pas céder à la tentation de ne plus débattre, de ne plus parler de sa foi ou d’en parler de façon agressive et maladroite. D’autant plus lorsque les critiques et les dénonciations contre l’Église sont trop souvent dévoilées dans la presse, souvent anticléricale – même si la presse chrétienne joue aujourd’hui elle aussi un rôle décisif dans la transparence sur les questions des abus. 

 

Prendre le taureau par les cornes et établir une relation personnelle avec le Christ

Les différents scandales dévoilés ces dernières années ont poussé les catholiques dans différents secteurs de la société à se mobiliser contre les problèmes internes de l’Église. J’en voulais pour preuve la presse, qui a commencé à effectuer un travail lucide en France ; de même, aux États-Unis, un groupe de journalistes catholiques a créé The Pillar, un journal d’investigation qui cherche à mettre de la lumière sur les pans obscurs de la gestion de l’Église. Je me suis aussi aperçu, en lisant les éditos, que ces journalistes remettaient souvent à Dieu les efforts de leur travail et étaient constamment dans un souci de rechercher la vérité, autant d’éléments, insistai-je, qui attestaient d’un désir sincère d’amélioration. Les problèmes surgissent précisément là où la sincérité fait défaut et où chacun cherche à cacher ses véritables intentions pour tirer profit des plus faibles. C’est en soi le reflet de leur relation avec Dieu : ces individus utilisent les dons que Dieu leur a donnés pour leur propre bénéfice. A l’inverse, croire en Dieu, c’est avoir une relation amicale, fraternelle et filiale avec Lui, et non pas une relation de peur ou un échange commercial, où Dieu me récompenserait pour mes bonnes actions.
Mon amie est alors restée dans un silence méditatif, puis elle a fait une chose à laquelle je ne m’attendais pas : elle m’a remercié de lui avoir partagé mon beau témoignage. Jamais je n’aurais cru entendre de sa bouche ces paroles. Nous n’avons pas eu le temps de poursuivre cette discussion, mais je crois avoir pu comprendre à cette occasion ce qu’était vraiment témoigner de l’Évangile et de ma foi.

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