Le Royaume est-il aussi proche que ça ? Je voudrais faire une confidence en écho au thème du Congrès Mission qui se déroulait à Paris. Il y a quelques années, atteint d’une maladie auto-immune sévère – une der- matomyosite –, j’ai cru que le Royaume était bel et bien arrivé pour moi. Je voyais approcher l’Éternité avec un mélange de crainte et de curiosité, et surtout une immense tristesse à l’idée d’être arraché à mes proches. Je gémissais comme le roi Ézéchias : « Au midi de mes jours, je m’en vais, aux portes du shéol. » (Is 38, 10).

En recouvrant peu à peu la santé, après une rémission, j’ai commencé à saisir que le Royaume ne correspondait vraiment pas aux images loufoques que nous nous faisons souvent de l’au-delà. Le Royaume est au milieu de nous, comme l’affirme simplement Jésus. J’ai alors ressenti peu à peu dans mon corps tous les effets de la santé, comme si un bonus m’avait été donné d’en haut. Je n’étais plus rouge comme un poivron, je pouvais lacer mes chaussures et respirer normalement après un méchant emphysème. Cette opération merveilleuse ressemblait un peu aux jeux vidéo de mon enfance où le héros, vaincu et enterré, retrouvait miraculeusement tous ses points de vie.

Le Royaume était là, à portée de main, impossible cependant à mettre en cage. Il était palpable, le Royaume, avec mon épouse et mes enfants retrouvés. Il était encore là dans la vie de l’Église, en apparence si modeste et abîmée par l’actualité. Le travail de la grâce était comme visible et j’étais saisi d’un sentiment d’urgence. Comment annoncer ce Royaume qui frappe à nos portes tous les jours et pas uniquement le jour du croque-mort?! Comment se laisser porter par cette joyeuse nécessité d’annoncer notre Seigneur vainqueur de la mort ?

Et puis la routine est revenue, comme si la santé et le salut étaient des choses normales. Le sentiment d’urgence s’est émoussé. Pour- tant, je sais au fond de moi que le Royaume est prêt à se manifester n’importe où et n’importe quand. Mais nous interdisons à Dieu de faire miracle en ces lieux qui sont les nôtres. Obnubilés par le poids du réel, nous imaginons mal comment les Français pourraient reprendre en masse le chemin des églises; comment nos cathé- drales pourraient signifier pour les jeunes générations autre chose que des décors du Moyen Âge abritant des cérémonies incompré- hensibles.

Le sondage que nous publions avec l’institut Ifop a de quoi nous faire réfléchir (cf. pages 20 à 27). Si 80 % des Français ont été baptisés, seuls 2 % d’entre eux connaissent le chemin de la messe dominicale. Mais la plupart de ces catholiques dormants manifestent des signes tangibles d’appartenance à l’Église. Nous ne savons plus les lire ou les entendre. Un peu comme le chant des baleines à bosse. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père, dit encore Jésus. On pourrait même dire plusieurs cercles concentriques qui appartiennent au même corps mystique. La chute drastique de la religiosité populaire et l’intellectualisation parfois outrancière de la foi ont contribué à éloigner les foules des autels. Mais elles conti- nuent à brûler des cierges et à invoquer la Vierge !

Oui, le Royaume est tout proche. Nous avons à l’annoncer à temps et à contretemps comme le faisaient les premiers disciples. Le bon larron nous montre qu’entre nous et le paradis il n’y a guère plus qu’une feuille de papier à cigarette.