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Culture

Marie Emmanuel

19 octobre 2022

C’est la grande discussion de ces dernières semaines : l’adaptation par Amazon des Anneaux de Pouvoir constitue-t-elle une trahison de l’histoire créée par Tolkien, ou du moins de son esprit ? Il y a les fans, les modérés, les ouverts qui planent au-dessus de la mêlée, ceux qui se refusent à aller voir un torchon pareil et ceux qui peuvent vous réciter les dialogues par cœur – parfois les mêmes à peu de jours près ! On se retrouve coincé entre les puristes, qui hurlent au scandale à chaque élément nouveau, et les enthousiastes, toujours prêts à défendre bec et ongle ce qui leur a plu, sans compter ceux qui voulaient juste regarder la série pour se divertir et se fichent éperdument de tous ces débats …

Et les catholiques dans tout ça ? Parce qu’il ne faudrait pas l’oublier, Tolkien est catholique et ne se cache pas d’avoir nourri son œuvre de sa foi. Ce soubassement n’est pas toujours mis en avant par les réalisateurs de la série et souvent nous avons perdu les codes pour en saisir les traces et les implications, c’est pourquoi Mission se propose de prendre la parole à son tour pour un décryptage du sous-texte chrétien.

 

Aux origines de la série : quelques pages du Silmarillion

Les deux scénaristes d’Amazon Patrick McKay et John D. Payne ont mis au point l’intrigue de leur série en s’appuyant sur les deux dernières sections du Silmarillion de Tolkien. Cet ouvrage composite, initialement destiné à être publié en même temps que Le Seigneur des Anneaux, est le fruit de la lente maturation d’un univers, commencée dès ses années de lycée. Son volume et son caractère disparate font reculer son éditeur. Ce n’est qu’après la mort de l’auteur, jusqu’à laquelle il ne cesse de reprendre ses textes, que son fils entreprend de faire publier ses travaux. Ce livre est donc le fruit longuement mûri d’une vie entière.

Le Silmarillion raconte la genèse de l’univers de Tolkien. Un Dieu nommé Illuvatar y crée un monde et y envoie des serviteurs, les Ainurs, semblables à des anges ; ce même Illuvatar regarde les elfes et les hommes, ses créatures, comme ses enfants ; deux peuples (les Eldars, des elfes, puis les Numénoréens, des hommes) sont élus, bénis et conduits dans une terre promise. Le destin des enfants d’Illuvatar suscite la jalousie et la révolte orgueilleuse et vaine d’une sorte de Lucifer nommé Morgoth ; les hommes des anciens temps sont bénis d’une longue vie, à l’instar des patriarches bibliques, de Noé ou de Job ; les âmes des morts attendent dans des cavernes de Mandos qui ressemblent curieusement au shéol d’où le psalmiste supplie Dieu de le tirer. Tout ceci est supposé avoir été rédigé tantôt en prose, tantôt en vers, dans diverses langues anciennes, et constitue une compilation hétéroclite de témoignages variés, comme un certain livre, ou plutôt un assemblage composite de livres… la Bible. Et cela jusqu’au conte des amants Beren et Luthien qui n’est pas sans rappeler par son commencement bucolique le dialogue amoureux – teinté d’une pudeur toute britannique il est vrai – du Cantique des cantiques, avant d’évoquer les aventures du livre de Tobie. On pourrait encore multiplier les comparaisons. Il ne s’agit pas de prétendre que le Silmarillion est l’Ancien Testament car Tolkien emprunte à bien d’autres sources et n’hésite pas à jouer avec les traditions légendaires et mythologiques. Mais les échos sont délibérés et nombreux.

 

Ce que les Numénoréens doivent au Peuple élu de l’Ancien Testament

Tirée de ce vaste contexte, la série Les Anneaux de Pouvoir met en lumière les aventures d’un peuple élu : les Numénoréens. L’histoire de ce peuple, relatée dans l’avant-dernière section du Silmarillion, relève à la fois de l’engloutissement de l’Atlantide, du récit du Déluge et de la reprise des livres de Samuel, des Rois et des Chroniques. Les rois de Numénor sont en effet un écho direct et évident à l’histoire du Peuple élu après l’installation en terre promise. Dans la Bible, l’élection est un choix de Dieu et une bénédiction particulière sur le peuple d’Israël auquel il se révèle. Cette première étape du Salut correspond à la vocation particulière d’Israël et est appelée à rejaillir sur l’humanité toute entière. Dieu établit son peuple en terre promise et lui demande de lui être fidèle. La nation de Numénor de son côté naît lorsque sont mis à part les peuples s’étant distingués dans la lutte contre Morgoth dans une île merveilleuse.

Les deux peuples, celui de Tolkien comme celui de l’Ancien Testament, instituent un royaume dans une terre promise. Les deux peuples, qui avec Dieu, qui avec « les Seigneurs de l’ouest », concluent une alliance. Cependant, chaque peuple élu devient rapidement infidèle. Comme les Israélites, les Numénoréens se laissent gagner par la méfiance, par la peur de la mort et par le rejet d’une sorte de plan de Dieu. Leur transgression est marquée par la démesure et plus manifestement encore par « un culte abominable » rendu à Morgoth, avec des sacrifices humains, qui en font un avatar des Baal que les prophètes reprochent continuellement à Israël d’avoir poursuivis. Les deux peuples connaissent un châtiment longtemps retardé par la miséricorde divine : l’engloutissement pour Numénor et l’asservissement sous la domination babylonienne pour les royaumes juifs d’Israël et de Juda.

Pour autant, dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas la fin : dans la Bible, ce sont les prophètes qui prennent le relai en demandant au peuple de se retourner vers Dieu et en annonçant un messie qui doit délivrer le peuple de son esclavage, c’est-à-dire, plus encore que de la servitude en terre étrangère, de la soumission au mal. De même, des restes de Numénor naissent les royaumes de Gondor et d’Arnor qui poursuivent la lutte contre Sauron, principal lieutenant de Morgoth, jusqu’aux évènements du Seigneur des Anneaux. Subsiste donc une espérance en une délivrance du mal. Mais ceci est une autre histoire … La suite au prochain épisode !

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