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Culture

Fabiola Francfort

29 janvier 2023

Tous les 21 janvier, en France, en souvenir de la décapitation de Louis XVI, des banquets républicains où les convives mangent de la tête de veau sont dressés et des messes de requiem à l’intention du Roi sont célébrées dans les églises. 230 ans de l’événement, les traditions perdurent. Mais le plus important risque de passer inaperçu à savoir la grandeur christique, paradoxale et inattendue, de ce roi guillotiné. Fabiola Francfort médite sur ce paradoxe.

 
Une force d’âme qui frappe jusqu’à son bourreau

Le samedi 21 janvier 2023, l’église Saint Eugène Sainte Cécile de Paris était pleine, les jeunes s’entassaient au fond de l’église bondée. Beaucoup ne sont pas forcément des ‘royalistes’. Ils ont redécouvert sur le tard Louis XVI et la tradition de ces messes de requiem. On communie, on prie porté par la liturgie spéciale et déchirante sur les Requiem de Campatra et d’Homet, et, marque distinctive des messes pour Louis, à la fin, son fameux Testament est lu. Cela fait réfléchir. Voilà quelques extraits : Sa demande de voir un prêtre catholique non jureur pour se confesser ne lui étant pas accordée : « Je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés, j’ai cherché à les connaître scrupuleusement, à les détester et à m’humilier en sa présence, ne pouvant me servir du Ministère d’un Prêtre Catholique. Je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite, et surtout le repentir profond que j’ai d’avoir mis mon nom, (quoique cela fut contre ma volonté) à des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l’Église Catholique à laquelle je suis toujours resté sincèrement uni de cœur. Je prie Dieu de recevoir la ferme résolution où je suis, s’il m’accorde vie, de me servir aussitôt que je le pourrai du Ministère d’un Prêtre Catholique, pour m’accuser de tous mes péchés, et recevoir le Sacrement de Pénitence. »

Bien qu’il écrit avoir été blessé par les comportements de certains, il pardonne à chaque fois, et livre ses leçons de gouvernance à son fils : « Je prie tous ceux que je pourrais avoir offensés par inadvertance (car je ne me rappelle pas d’avoir fait sciemment aucune offense à personne), ou à ceux à qui j’aurais pu avoir donné de mauvais exemples ou des scandales, de me pardonner le mal qu’ils croient que je peux leur avoir fait ».

« Je recommande à mon fils, s’il avait le malheur de devenir Roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément tout ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j’éprouve. Qu’il ne peut faire le bonheur des Peuples qu’en régnant suivant les Lois, mais en même temps qu’un Roi ne peut les faire respecter, et faire le bien qui est dans son cœur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement, étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile. »

« Je pardonne encore très volontiers à ceux qui me gardaient, les mauvais traitements et les gênes dont ils ont cru devoir user envers moi. J’ai trouvé quelques âmes sensibles et compatissantes, que celles-là jouissent dans leur cœur de la tranquillité que doit leur donner leur façon de penser. »
Une fois encore, cette cérémonie ne pose pas d’abord une question politique ou identitaire mais bien religieuse. Elle met brutalement sur le devant de la scène la manière dont Louis XVI a affronté sa mort avec héroïsme au dire même de ses adversaires. Une certaine propagande a justement tenté de réécrire l’histoire en gommant cet aspect chrétien de son sacrifice volontaire . Wikipédia rappelle :
« Dans Le Nouveau Paris (1798), le dramaturge et conventionnel Louis Sébastien Mercier ancien sympathisant Girondin, raconte l’exécution de Louis XVI en ces termes : « […] est-ce bien le même homme que je vois bousculé par quatre valets de bourreau, déshabillé de force, dont le tambour étouffe la voix, garrotté à une planche, se débattant encore, et recevant si mal le coup de la guillotine qu’il n’eut pas le col mais l’occiput et la mâchoire horriblement coupés ? »

Le Thermomètre du Jour du 13 février 1793, un journal républicain modéré, décrit le Roi criant trois fois : « Je suis perdu ! », au moment où les assistants du bourreau Charles-Henri Sanson le saisissent, en citant comme source celui-ci. » Ces informations fausses sont corrigées par le bourreau Sanson lui-même, indigné, comme le relate Le Monde : « Après l’exécution, les milieux révolutionnaires font circuler des rumeurs à propos de la lâcheté du roi sur l’échafaud dressé sur la place de la Révolution. D’après le Thermomètre du jour, ce dernier a dû être conduit de force à la guillotine, un pistolet pointé sur la tempe. Reprenant la relation de la revue Annales patriotiques, ce journal affirme que sous la lunette, pris de panique, le supplicié a poussé un cri affreux et s’est débattu.

Choqué par cette description de l’événement, Charles-Henri Sanson attend un mois avant d’envoyer au directeur de la revue, Jacques Antoine Dulaure, une mise au point datée du 20 février 1793, sur “l’exacte vérité de ce qui s’est passé”. Dans ce texte, le bourreau fait part de son admiration pour la calme assurance de Louis XVI face à la mort : “Il a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous ont tous étonnés. Je reste très convaincu qu’il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paraissait pénétré ni persuadé.” »

En revanche les journaux n’inventent pas quant à la souffrance causée par le mauvais ajustement de la lame sur sa tête : « Détail macabre, les exécuteurs sont obligés de peser sur le fer pour la faire tomber » raconte Le Point. L’étonnant écart entre son attitude face à la mort et la satisfaction que son exécution suscite était déjà perçu par le non croyant Albert Camus qui écrit dans L’Homme Révolté (1951) :
« Le 21 janvier, avec le meurtre du roi-prêtre, s’achève ce qu’on a appelé significativement la passion de Louis XVI. Certes, c’est un répugnant scandale d’avoir présenté comme un grand moment de notre histoire l’assassinat public d’un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s’en faut. »

Puis Camus relève des ressemblances avec les dernières heures du Christ – quand on empêche Louis de faire entendre ses dernières paroles par le bruit des tambours et quand, après avoir refusé l’ultime humiliation d’avoir ses mains liées dans le dos, il se reprend : « Louis XVI semble avoir, parfois, douté de son droit divin, quoiqu’il ait refusé systématiquement tous les projets de loi qui portaient atteinte à sa foi. Mais à partir du moment où il soupçonne ou connaît son sort, il semble s’identifier, son langage le montre, à sa mission divine, pour qu’il soit bien dit que l’attentat contre sa personne vise le roi-Christ, l’incarnation divine, et non la chair effrayée de l’homme. Son livre de chevet, au Temple, est l’Imitation. La douceur, la perfection que cet homme, de sensibilité pourtant moyenne, apporte à ses derniers moments, ses remarques indifférentes sur tout ce qui est du monde extérieur et, pour finir, sa brève défaillance sur l’échafaud solitaire, dans ce terrible tambour qui couvrait sa voix, si loin de ce peuple dont il espérait se faire entendre, tout cela laisse imaginer que ce n’est pas Capet qui meurt, mais Louis de droit divin, et avec lui, d’une certaine manière, la chrétienté temporelle. Pour mieux affirmer encore ce lien sacré, son confesseur le soutient dans sa défaillance en lui rappelant sa « ressemblance » avec le dieu de douleur. Et Louis XVI alors se reprend, en reprenant le langage de ce dieu : « Je boirai, dit-il, le calice jusqu’à la lie. » Puis il se laisse aller, frémissant, aux mains ignobles du bourreau. »

 

La gloire de Saint Louis

Le lecteur de L’Imitation de Jésus Christ en ses temps de prison était aux jours de son règne connu pour sa pratique chrétienne. Ses détracteurs attribuent même à son éducation catholique prise très au sérieux ses difficultés dans ses premières relations avec Marie Antoinette. Louis XVI est le seul roi de France, avec son aïeul saint Louis, dont on dit qu’il n’a jamais pris de maîtresse – ce qui est conforme à l’exigence de la morale catholique. Au-delà de sa vie privée, l’historiographie contemporaine, calmée des passions de l’épisode révolutionnaire, a reconsidéré son bilan politique. La réhabilitation d’une figure magnifiée par son sort la rend transpartisane. Le beau et tragique film Louis XVI, l’homme qui ne voulait pas être roi de France 2 (2011) avec un bouleversant Gabriel Dufay dans le rôle du Roi Louis XVI, dessine la majesté de ce roi longtemps méprisé.

À la fin, dépouillé de son titre de roi, son nom Capet renforce sa filiation avec ses aïeux royaux. Avec le renversement de la monarchie sur le plan politique, dans une perspective spirituelle, il porte les péchés et insuffisances de ses prédécesseurs sur le trône. Parents de Louis XVI, mais aussi enfants de Saint Louis. « Fils de Saint Louis, montez au Ciel ! » se serait-on écrié quand la lame trancha Capet. Louis IX, seul roi de France canonisé après sa mort, rapporta à prix d’or en France la couronne d’épines, la plus insigne des reliques du Christ, la vraie couronne de roi.

Louis XVI ne sera peut-être jamais élevé sur les autels pour des raisons d’opportunité politique ; son témoignage de Roi très chrétien face à la mort – c’est-à-dire littéralement, martyr, n’en est pas moins saisissant. Alors l’on comprend que le psaume 109 (110) du Sacre, qui s’applique au Christ, résonne, davantage que pour tout sacre à Reims, dans les derniers instants du Roi boursouflé entravé sur l’échafaud, « Roi aux pieds de porc » que moque par calomnie Camille Desmoulins, revêtu de la vraie royauté au moment où ceux lui coupant la tête le ceignent d’une meilleure couronne : « Le jour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissant de sainteté ».

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