Ecrivain catholique, Tolkien a rédigé avec Le Silmarillion la Genèse de la Terre du Milieu. La toute nouvelle traduction de Vincent Ferré, parue le 27 octobre 2021, rend l’œuvre plus accessible et nous invite à en (re)découvrir sa profondeur théologique.
“Le Seigneur des Anneaux est bien entendu une œuvre fondamentalement religieuse et catholique. De manière inconsciente dans un premier temps, puis de manière consciente lorsque je l’ai retravaillé”, écrivait Tolkien dans une lettre adressée au père jésuite Robert Muray. Converti de l’anglicanisme par le cardinal Newman, l’auteur du Seigneur des Anneaux puisait sa compréhension du monde et de l’histoire dans la pensée chrétienne de la rédemption.
Ecrit dans un style moins romanesque que le Seigneur des Anneaux, Le Sillmarion nous fait découvrir l’histoire de la Terre du Milieu jusqu’à la guerre de l’anneau. L’ouvrage, publié par le fils de l’écrivain, a parfois été qualifié d’ennuyeux, mais s’arrêter au style narratif de l’œuvre fait manquer la profondeur de ce récit de la rédemption.
Tolkien, dans son premier livre, donne une description de l’origine du mal. Au commencement, Eru Illuvatard créa par son chant des êtres célestes : les Valars. Chacun possédait sa propre mélodie et tous formaient ensemble la plus belle harmonie qu’il soit. Cependant, au milieu de cette mélodie s’éleva une mélodie plus forte que les autres, qui allait contre le thème principal. C’était celle de Melkor, le plus grand parmi les créatures qui voulait imposer sa propre musique. Eru lui rappelle cependant que nulle musique ne pouvait aller contre la sienne. Melkor, furieux, quitte alors l’assemblée des Valars pour errer sur la terre en détruisant tout ordre allant à l’encontre de sa propre puissance et devient ainsi Morgoth. Si un tel récit peut rappeler certains passages du livres de l’apocalypse, Tolkien livre surtout ici une interprétation de l’origine du mal comme rejet de l’ordre établit et comme recherche de sa propre puissance. Le mal est ce qui arrive lorsque l’on se coupe du bien et de sa source. Celui qui fait le mal est en outre présenté comme malheureux car coupé de toute beauté dans son rejet de l’harmonie.
Dans les autres livres constituant le Silmarillion, Tolkien nous livre une réflexion sur le mal de manière plus personnelle qui diffère de celle du Seigneur des Anneaux. Dans le Silmarillion, le monde est moins manichéen et chacun doit refaire pour lui-même le choix qui se posa originellement à Melkor. Chacun est libre de se décider en faveur du bien et du mal. Tolkien a dans cet ouvrage une conscience plus fine de l’être humain tiraillé entre des choix et met en scène le fait que certains choix qui paraissaient bons peuvent finalement mener à la destruction. Le personnage de Feanor, est bien représentatif de cet aspect-là lorsque, voulant retrouver les silmaris et lutter contre le pouvoir de Morgoth, il abandonne la moitié de son peuple par mépris et par volonté d’efficacité. A travers ce personnage, Tolkien prévient le lecteur des choix qui sera les siens entre le bien et le mal et met en scène le combat du bien contre le mal dans toute sa subtilité.
La puissance des protagonistes du Silmarillion est sans comparaison par rapport à celle des personnages du Seigneur des Anneaux. Sauron n’est qu’un ennemi parmi d’autre, l’un des lieutenants de Morgoth. Le Balrog qui met en échec la communauté de l’anneau est battu en duel par les Elfes des premiers âges. Cependant, ce n’est pas dans cette puissance que ce trouve la réponse au mal, et la grandeur des héros passe par l’acceptation de leur fragilité ultime et de leur condition mortelle. Tolkien développe la notion du sacrifice comme salut, notamment à travers la figure de Fingolfin. “Le plus vaillant des princes elfes” afin de sauver le peuple dont il était le roi chevauche seul jusqu’à la forteresse de Morgoth et le défie en duel. Celui-ci ne pouvant se dérober fini par tuer l’Elfe mais fut blessé plus de sept fois. Ces blessures le firent toujours souffrir et plus jamais il ne sorti de sa forteresse. En donnant sa vie, Fingolfin remporte alors, malgré les apparences, une victoire définitive sur le mal. En acceptant sa condition fragile et en le mettant au service d’une cause plus haute par son courage, Fingolfin agit de manière concrète et durable contre le mal et la souffrance. Tolkien dégage à travers la fiction le sens à la fragilité et lui redonne sa noblesse en montrant la fécondité qui en ressort.
A travers Beren et Luthien, Tolkien choisit également des êtres faibles pour lutter contre le mal et remporter la victoire là où les puissants ont échoués. L’histoire entre Beren et Luthien est sans conteste l’histoire d’amour la plus belle de l’histoire de la Terre du milieu où Beren, un homme, tombe amoureux de Luthien, la plus belle des enfants des elfes. Ils n’ont en rien la puissance des princes elfiques mais défient Sauron et lui ôtent sa forme corporelle (c’est la raison pour laquelle il informe sa puissance dans un anneau). Beren et Luthien sont probablement les personnages les plus fragiles de l’ouvrage et paradoxalement ceux qui accomplissent les plus grands exploits. Beren est même le seul à posséder un silmaris après que Morgoth les eut volés. Leur fragilité en opposition à la puissance de Sauron est pourtant victorieuse. Le salut contre le mal est alors permis non seulement grâce aux puissants mais aussi et surtout grâce aux faibles et par la faiblesse. Qui disait « heureux les pauvres de cœur car le Royaume des Cieux est à eux » ?
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