Le renouveau paroissial n’est pas un mythe. Il dépend moins cependant de méthodes à appliquer servilement que d’une créativité locale qui prenne en compte la mutation sans précédent du tissu ecclésial.
À Figeac, pour bâtir une paroisse nouvelle, il a été fait appel au « BTP ». Normal, lorsqu’il s’agit de lancer un chantier. Sauf que, dans le Lot, il n’est pas question de travaux publics mais bien de transformation pastorale. Dans la petite sous-préfecture occitane de 10 000 habitants et la paroisse qui en épouse les contours, le « BTP » est ainsi l’acronyme de « Bureau de transformation pastorale », un groupe de cinq laïcs autour du curé, l’abbé Guillaume Soury- Lavergne. Son rôle est décrit sur le site Internet de la paroisse : « Le Bureau de transformation pastorale est l’équipe chargée de coordonner toutes les prospectives et les réalisations paroissiales. » Elle a pour « mission de transformer la paroisse, en la rendant toujours plus conforme à notre vision: “aujourd’hui, choisir de rencontrer Jésus, se laisser aimer, et l’annoncer dans la joie”».
Voici plusieurs années que ce chantier de transformation pastorale a été lancé. Exacte- ment, dès l’arrivée il y a six ans du nouveau curé dans la deuxième ville – derrière Cahors – de ce dépar- tement majoritairement rural. Ses caractéristiques démographiques sont bien connues: population âgée, étalement géographique, clergé peu nombreux et vieillissant lui aussi, etc. Mais pas de quoi effrayer l’abbé Soury-Lavergne, qui s’est fait connaître par ses sauts en parachute ou ses plongées réalisés pour lever des fonds en faveur de l’abbaye de Marcil- hac-sur-Célé, toujours dans le Lot. Issu d’une lignée de militaires, le prêtre de 44 ans s’est entouré avec le « BTP » d’une « task force missionnaire » en vue d’un changement total de paradigme pour leur paroisse qui ne serait plus autocentrée et occupée jusqu’à l’épuisement à entretenir des services devenus obsolètes, mais une communauté résolument tournée vers celles et ceux qui ne connaissent pas ou peu le Christ. Autant dire la quasi-totalité de la population, dans le Lot comme dans le reste du pays. À Figeac, l’abbé et ses paroissiens entendent ainsi apporter une réponse concrète au mandat missionnaire laissé par le Christ : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »
Si l’Église sait toujours baptiser, elle a oublié comment « faire » des disciples. « Nous avons une façon de bâtir les choses qui ne rend pas lisible l’Église, qui est “l’intention de Dieu de sauver tous les hommes”. » Comme les laïcs du « BTP » et leur curé à Figeac, ils sont une poignée de « chercheurs » en France, résolus à ne plus se satisfaire du « on a toujours fait comme ça», traquant partout les meilleurs savoir-faire et savoir-être afin de remettre l’Église au milieu du village. L’abbé Guillaume le reconnaît volontiers : « Ce sont des paroissiens qui m’ont fait découvrir cette notion de transformation pastorale en me conseillant des lectures, des sites Internet… » Pour la plupart, des hommes et des femmes qui «viennent de découvrir le Christ comme l’amour de leur vie. Ma conviction est que nous devons nous appuyer sur eux pour réaliser cette transformation pastorale », affirme le prêtre.
Comme curé, l’homme voit dans cette démarche une occasion de sortir de la « spirale de la lose » à laquelle beaucoup de ses confrères sont confron- tés. «Le clergé d’aujourd’hui n’est pas en forme et nombre de prêtres sont au bord de la rupture », soutient l’abbé Guillaume. « L’une des raisons, rare- ment évoquée, est que les prêtres sont des hommes et que l’humanité masculine a besoin de victoires. Or, la configuration actuelle d’une paroisse et ses struc- tures caduques placent la plupart dans des situations d’échec. Si, tous, nous avons accepté de donner notre vie, personne ne l’a fait pour qu’elle soit gaspillée. »
La plupart des promoteurs de la conversion pastorale ont été encouragés par les invitations du pape François à lancer « une dynamique de réforme des structures ecclésiales ». Par deux fois, en 2007 puis 2013, le Pape a eu des mots d’une rare intensité sur l’indispensable remise en cause des « structures caduques » existantes dans l’Église. Par deux fois, cet appel a été lancé depuis le Brésil, et notamment le sanctuaire d’Aparecida où est vénérée la Vierge Marie comme sainte patronne du pays. Les propos du Pape à Aparecida en 2007 sont devenus la référence pour les catholiques convaincus de l’urgence d’un aggiornamento des paroisses. La notion de « disciples-missionnaires » – qui a fait florès dans nombre de lettres pastorales et de synodes diocésains ces dernières années en France – est ainsi extraite du document final de la Ve Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes rendu public à Aparecida. Le cardinal Bergoglio en présida le comité de rédaction. Au numéro 365 du document, il est écrit : « Cette ferme décision missionnaire doit imprégner toutes les structures ecclésiales et tous les plans pastoraux des diocèses, des paroisses, des communautés religieuses, des mouvements et d’autres institutions de l’Église. Aucune communauté ne doit se dispenser d’entrer résolument, avec toutes ses forces, dans les processus constants de renouveau missionnaire, et d’abandonner les structures caduques qui ne facilitent plus la transmission de la foi. »
De retour au Brésil, à l’occasion des JMJ en 2013 cette fois, le désormais pape François a « remis le couvert » sur le sujet de la nécessaire transformation pastorale à mener. Dans un premier temps, François s’est livré à un constat sans concession sur l’état de l’Église. Évoquant le « mystère difficile de ceux qui la quittent », il a posé les questions qui fâchent : « Peut-être l’Église est-elle apparue trop éloignée de leurs besoins, […] peut-être trop froide dans leurs contacts, peut-être trop autoréférentielle, peut- être prisonnière de ses langages rigides. » En réponse, François a fait cette prière pour l’avenir : « Il faut une Église qui sache dialoguer avec ces disciples désenchantés et qui considèrent désormais le christianisme comme un terrain stérile, infécond, incapable de générer du sens. » De plus, François a proposé un véritable examen de conscience de l’état de nos communautés chrétiennes à la lumière de la « nécessaire conversion pastorale »
Distance oblige, l’écho des propos du Pape a mis du temps à traverser l’Atlantique et toucher les côtes françaises. Dix ans plus tard, cet appel à une véritable « révolution pastorale » en vue d’une annonce de la foi plus efficiente ne semble pas avoir bouleversé le quotidien des paroisses françaises. À Figeac, l’abbé Soury-Lavergne porte un regard plus positif sur la situation : « C’est pour moi une évidence qu’une lame de fond arrive. Je sens un bruissement un peu partout. En effet, plus personne ne se satisfait d’habitudes paroissiales mortifères. » Pour le prêtre, « certaines paroisses vont s’éteindre ». Survivront celles « où la vie aura été entretenue ». Des communautés qui auront fait preuve de « courage » car « le changement en demande beaucoup ». « Il faut accepter que mettre en œuvre des évolutions vous fait vous confronter à des personnes qui y sont opposées.
Parce qu’on n’aime pas changer les habitudes, parce que certains ont établi leur petit pouvoir sur tel ou tel service… »
Concrètement, dans le Lot, la transforma- tion, toujours en cours, se traduit par des modifications plus ou moins lourdes: le répertoire des chants de la messe a été réactuali- sé, deux parcours Alpha ont lieu désormais chaque année… « Pour Alpha, notre désir est qu’ils soient toujours comme un bruit de fond dans la paroisse, que la petite mamie qui est à l’église tous les dimanches depuis des décennies sache de quoi il s’agit. Cet outil est notre produit phare pour aller chercher “la brebis perdue” et nous faisons tout converger vers lui », pré- cise l’abbé, expliquant notamment qu’il demande aux futurs mariés de suivre un parcours.
Autre (r)évolution, le catéchisme traditionnel a laissé la place à une proposition nouvelle que le prêtre et son BTP sont allés chercher dans la Drôme. Pour les enfants de 4 à 11 ans, c’est désormais Kidcat, un caté 2.0! En deux ans, le nombre d’enfants catéchisés est passé de 25 à 100 enfants inscrits. Et un deuxième Kidcat dans une autre zone de la paroisse sera bientôt lancé. «Le Kidcat caractérise notre façon de procéder. D’abord, nous avons été curieux. Et cette curiosité nous a permis d’expérimenter la grâce de l’Église où certains, comme l’inventeur du Kidcat, le père Damien de Villepoix, portent des intuitions qui vont donner du fruit pour le corps entier. »
Pour justifier la « lame de fond » qu’il sent poindre, l’abbé Guillaume s’appuie sur les appels qu’il reçoit régulièrement d’autres paroisses de France pour en savoir plus sur la démarche lotoise. « Récemment encore, nous avons été contactés par une paroisse de Vesoul», explique le prêtre, qui ajoute: «Le contexte dans lequel nous vivons cette transforma- tion la rend accessible à tous, même les communautés chrétiennes les plus modestes, loin des grands centres urbains. Si on y arrive chez nous, on peut y arriver partout ! » (Rires.)
En des lieux multiples, la créativité mis- sionnaire est à l’œuvre. À Hyères, dans le Var, la paroisse a ainsi choisi en 2021 de réinvestir Sainte-Douceline, un clocher en perte de vitesse dans un quartier difficile. À rebours de la tendance à tout regrouper au niveau du cœur de paroisse. Une famille s’est installée sur place pour être à la fois une présence fraternelle et y donner un témoi- gnage chrétien.
En Ardèche cette fois, la paroisse de Guilhe- rand-Granges s’est lancée dans la construction de « l’église de demain ». Début 2024, de nouveaux espaces attenants à l’église actuelle et largement ouverts sur l’extérieur inviteront les passants, quels qu’ils soient, à une halte. « Ces bâtiments traduisent la transformation pastorale que nous vivons ici depuis plusieurs années», explique le pèreLudovicBas- set-Chercot, curé depuis dix ans sur les bords du Rhône. « Nous menons ce projet en pensant en premier lieu à ceux qui se trouvent sur le parvis de notre église. Et espérons ainsi les faire entrer dans un processus de transformation, cher au pape François. » Que quelqu’un venu demander le baptême pour son enfant, par tradition, puisse peut-être, au terme d’un cheminement, devenir à son tour disciple puis missionnaire.
À Figeac, pour l’abbé Guillaume, les fruits de la transformation pastorale sont «authentiques et visibles ». « Quand vous voyez des nouvelles têtes à l’église, une assemblée qui croît, des profils de convertis étonnants, tout le monde peut constater qu’il se passe quelque chose », explique celui qui témoigne connaître ses plus grandes joies lorsqu’il «voit des gens qui n’étaient pas chrétiens le devenir ». Il conclut : « Une partie de nos façons de faire est clairement en train de mourir. Et si on s’y attache, on meurt avec. Aujourd’hui, dans notre paroisse, je suis simple- ment témoin de gens qui deviennent chrétiens alors qu’ils ne l’étaient pas. Je crois que le Seigneur m’a appelé pour cela et pas pour autre chose. »
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Mission est aussi une promesse, celle de tisser un grand réseau missionnaire en France et d’installer l’évangélisation dans le quotidien des communautés chrétiennes. La promesse de montrer la beauté de la mission et sa diversité créative.
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