Saint François de Sales affirme que « les événements sont nos maîtres ». Et il a raison. Si l’Eglise n’était qu’une institution humaine, elle aurait de bonnes raisons de croire sa fin toute proche au lendemain du rapport Sauvé. Les évêques étaient venus à Lourdes avec des pieds de plomb – les laïcs aussi – prêts pour certains à se jeter ans Le Gave qui coule devant la grotte. Mais quelque chose d’indicible s’est passé, presque malgré eux. Cela porte un nom ancien : le repentir.
J’entends déjà ceux qui contestent : « Vous rêvez !? » Comment les catholiques pourraient-ils échapper à la déprime, eux qui sont convoqués brutalement par l’actualité ? Il faudrait être sourd pour ne pas avoir entendu parler de la révélation des abus sexuels dans l’Eglise ; aveugle pour ne pas avoir aperçu le patron des évêques de France, à genoux sur l’asphalte, reconnaître la responsabilité institutionnelle de l’Eglise catholique dans ce désastre.
A vue humaine, c’est l’effondrement d’un monde qui s’était forgé il y a 1500 ans à l’époque lointaine et héroïque de sainte Geneviève. Un monde où l’Eglise avait l’autorité pour faire la morale aux puissants – quitte à faire reculer Attila – et pour transmettre aux masses une vision du monde inspirée des Evangiles. A vue humaine, oui tout semble s’effondrer. La maison bâtie sur le sable du mensonge et du crime emporte tout avec elle et d’abord ses habitants.
Nous voyons la pratique religieuse qui s’effondre comme un château de cartes. Moins de 5% des Français assistent encore à la messe du dimanche. Bientôt, disent les mauvaises langues, le Titanic aura coulé et il ne restera que quelques rescapés sur des barques, grelottant de froid dans un monde étrange. Un monde post chrétien. C’est la France d’après le catholicisme, décrite par Jérôme Fourquet dans « La France sous nos yeux » (Seuil). Un vieux pays où les marches blanches ont remplacé les processions d’antan et les ballons de baudruche les pétales de la fête Dieu. Il nous reste les feuilles mortes du catholicisme et bientôt plus rien ?
La chrétienté, forgée par des siècles et des siècles de pratique religieuse, est enterrée. C’est Chantal Delsol qui l’affirme dans son dernier essai (La fin de la chrétienté aux éditions du Cerf). Le logiciel qui faisait tourner l’Occident a donc muté. On trouvera toujours des éléments qui tiennent debout comme des canards sans tête qui s’acharnent à courir. Mais avouons que l’essentiel est à terre. Ce qui était tabou est célébré ; ce qui était interdit comme pratique sacrilège est érigé en vertu collective. Un ami m’écrivait pourtant qu’il avait la certitude que l’Eglise allait nous surprendre : « C’est le monde occidental, avec ses logiques folles et ses puissances, qui est en train de s’effondrer, pas la Cité de Dieu ! »
Mais comment ne pas céder au pessimisme ambiant et à l’ambiance de chasse aux sorcières ? Prenons acte que vivons un moment très particulier, un vrai tremblement de terre. Il est sans doute comparable à ce qu’a pu vivre saint Augustin en voyant sombrer la culture antique dans les flots agités des nouveaux peuples barbares. Et alors ?
C’est l’heure de la foi. Nos illusions majoritaires s’effondrent, pulvérisées, ringardisées. Nos réserves s’épuisent. Pour s’acquitter des réparations financières envers les victimes des abus sexuels, l’Eglise de France ne va pas hésiter à vendre ses biens immobiliers. Cette pauvreté programmée, affirme Mgr de Moulins-Beaufort, n’est pas une malédiction. C’est un acte de foi en la providence. C’est vrai que les caisses sont vides et que notre ancienne superbe s’effondre. Notre cœur est mis à nu comme dirait Baudelaire. Notre misère éclate au grand jour. Que faire lorsque la jarre de farine où puisait la veuve de Sarepta est vide se demande l’auteur du Livre des Rois ? Il nous montre cette pauvre veuve en train de confectionner un dernier pain avec sa dernière poignée de farine avant de mourir de faim.
Elie lui a demandé de dépenser tout ce qu’elle avait encore pour vivre. Avec la promesse de pouvoir vivre, elle et son fils, malgré la famine. En cet automne 2021, il faudrait qu’Elie revienne pour rassurer l’Eglise de Dieu. Non, sa dernière heure n’est pas venue. A genoux, humiliée, salie et décrédibilisée, elle fait l’expérience terrible de son Seigneur : « Ecce homo » ! Le Sauveur défiguré, roué de coups, qu’on montre à la foule comme un trophée. Mais Jésus était l’innocence et nous sommes engloutis sous le poids de nos péchés.
Alors que tout s’effondre, nous sommes peut-être tentés de sauver un dernier pan de mur, de préserver quelques bibelots sacrés. Et pourquoi pas de céder aux sirènes identitaires comme si les meilleurs ennemis de l’Eglise n’étaient pas à l’intérieur d’elle… Heureusement, il est trop tard pour tergiverser. C’est l’heure du don, du don total. A l’image d’une autre veuve dont Jésus fait l’éloge dans l’Evangile. Elle qui a déposé dans le Trésor du Temple tout ce qui lui restait pour vivre. Deux piécettes. Il nous revient de dépenser nos dernières pièces jaunes cachées au fond du porte-monnaie, de les jeter en offrande devant la face de Dieu.
Pourquoi le miracle d’Elie ne pourrait-il pas se reproduire demain ? A vue divine, la réforme de l’Eglise a déjà commencé par notre humiliation et notre repentir. Humus et humiliation sont des cousins germains. Après avoir tout dépensé et tout perdu, nous trouverons enfin de quoi vivre. Demain, la jarre de farine sera pleine et la jarre d’huile aussi. Mais si nous gardons nos miettes pour nous, claquemurés dans notre ressentiment et notre égoïsme, nous allons mourir de faim. Et le monde avec nous dans l’ignorance du salut de Dieu.
Un article par Samuel Pruvot
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