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Société

Marie Emmanuel

10 février 2023

Quatre pharmacies, quatre fois la même réponse : « Les méthodes naturelles ? Mais il faut être complètement folle pour utiliser ce truc d’influenceuses. Dans deux mois vous êtes enceinte ! » Pourtant il y a quelques semaines le Figaro titrait : « « Je redécouvre une sexualité vivante » : Comment les méthodes de contraception naturelles essaient de concurrencer la pilule ». A 180 degrés d’écart, un même constat s’impose : encore très suspectes ou méconnues pour le grand nombre, les méthodes naturelles sont néanmoins sorties de la cathosphère en quelques années. Internet s’en est emparé. La montée des préoccupations écologiques et de l’intérêt pour la santé de la femme ont fait connaître en dehors d’un petit groupe de catholiques très impliqués cette démarche exigeante mais déployant des moyens simples et efficaces.

Ne soyons pas naïfs, une sale réputation continue de leur coller à la peau, non sans motivations légitimes. Comment cette pratique longtemps décriée comme inefficace et puritaine a-t-elle pu se révéler porteuse de sens pour de nombreux couples ? Que peut leur offrir l’Eglise ? A-t-elle vocation à s’étendre ? Petit état des lieux en deux volets.

 
Comment ça marche ?

Le succès des méthodes naturelles (MN pour les intimes) passe par le désir de nos contemporaines, seules ou au sein du couple, d’apprivoiser leur corps et de vivre à son rythme.

Concrètement, leur fonctionnement repose sur l’auto-observation et la responsabilisation du patient, deux notions qui ont le vent en poupe dans la médecine à l’heure actuelle. Il s’agit d’apprendre à reconnaître une série de marqueurs qui évoluent dans le mois, plus ou moins réguliers selon les femmes et chez une même femme selon les cycles.

La plupart peuvent observer en période fertile l’apparition de glaire ou la transformation de celle qu’elles sécrètent habituellement et une légère montée de température juste après. D’autres signes existent parfois comme la variation de l’ouverture du col de l’utérus, l’augmentation temporaire du poids des seins ou l’apparition de saignements ou douleurs lors de l’ovulation.

C’est pour elles un moyen simple de savoir à quelle période leur corps est susceptible de concevoir un enfant, de s’intéresser à leur santé gynécologique. Bien des variations à première vue inquiétantes se révèlent marqueurs de bonne santé. Certains symptômes à l’inverse aideront le médecin à poser un diagnostic (endométriose, syndrome prémenstruel handicapant, infertilité). En participant à la tenue des observations, l’homme apprend lui aussi à comprendre le rythme de sa femme.

 

Un boom dans la communication …

Leur diffusion est portée par la multiplication d’organismes qui osent proposer un suivi individualisé auprès des femmes et des couples (Méthode Billings WOOMB France, Cyclamen, Fertility Care et la Naprotechnologie). Le développement de la recherche permet plus de précision que dans la méthode Ogino (ou du calendrier) utilisée par la génération précédente. Fondée sur un calcul statistique, elle n’anticipait pas les variations ponctuelles du cycle. Il fallait, pour prétendre à un minimum d’efficacité, pratiquer l’abstinence sur une durée exigeante et souvent décourageante, qui a suscité frustration et révolte chez Annie Ernaux, notre récent prix Nobel.

Mais le plus grand facteur de leur développement en dehors des réseaux catholiques demeure internet. Des applications (cloud, moncycle.app, etc.) permettent de noter ses observations quotidiennement. La naturopathie a le vent en poupe et suscite un publique nouveau, curieux d’en savoir plus et prompt à faire des recherches en ligne. Sur YouTube, les vidéos Billings côtoient celles de youtubeuses soucieuses de promouvoir une alternative écologique, saine et naturelle à la pilule. Le groupe privé « Méthodes Naturelles » sur Facebook compte 1 600 membres qui peuvent par ce biais s’adresser à d’autres couples et à des formateurs compétents dans les différents systèmes. Le compte Instagram emancipee, drôle et très complet, a même 67 400 abonnés, dont une partie participe à un serenity club dans lequel sont expliquées les MN.

 

… pour le meilleur et pour le pire : quelques casseroles (plus ou moins) légitimes.

C’est là une force de diffusion, mais aussi la limite qui suscite des critiques : en surfant sur cette nouvelle source d’audience, les revues en ligne véhiculent des idées reçues. Ce 23 janvier, Presse Santé publiait un descriptif qui mettait température et observation de la glaire sur le même plan que le retrait, ramenant le taux d’échec de l’ensemble à 23%. Fertility Care utilisée avec rigueur prétend pourtant à une efficacité égale à celle d’une pilule correctement dosée, les hormones en moins : 98 à 99%.

Les informations sont souvent transmises par un bouche-à-oreille qui suscite tantôt de l’entre-soi, tantôt des déformations et des déconvenues. Ainsi retrouve-t-on régulièrement l’idée que tous les cycles sont identiques ou (réminiscence des schémas simplifiés de SVT au lycée ?) que la période « dangereuse » est toujours autour du 14e jour. C’est oublier que les femmes ne suivent pas toutes un rythme standard, et surtout que bien des variations interviennent : l’auto-observation n’est pas prédictive, il faut continuer tous les jours.

Plus problématique, le système de santé publique français n’est pas à la page. Contrairement à ce que l’on peut lire sur Ameli, plus personne ne préconise Ogino depuis quarante ans. Quant aux accompagnements proposés aujourd’hui, nulle mention, et aucun remboursement. Or le choix des MN demande une formation sérieuse. Dans un certain nombre de situations (cycle irrégulier, arrêt récent de la pilule, approche de la ménopause, suites d’une grossesse) les couples ont besoin d’un accompagnement et de rencontrer d’autres couples qui ont fait le même choix. Le prix selon les cas va de 100 à 400€.

Le milieu médical est partagé. Certains personnels de santé s’engagent dans une formation très complète. La plupart, peu avertis sur ces questions, sont sceptiques, ce qui conduit ma pharmacienne à critiquer (au demeurant légitimement) l’attitude d’apprenti-sorcier de certaines influenceuses. Prendre le contrepied de ce symbole fort de la libération sexuelle qu’est la pilule paraît généralement inimaginable.

Les organismes qui les promeuvent ont aussi leur part de responsabilité. Chaque formation a tendance à prêcher pour sa paroisse. Or tout couple devrait pouvoir être renvoyé au système qui correspond le mieux à son rythme, aux caractéristiques de son cycle et à sa personnalité, quitte à en changer selon les circonstances de la vie. La température est intéressante quand on a un quotidien régulier : il faut la prendre chaque matin à la même heure avant de se lever, à moins d’investir dans un thermomètre high tech qui mesure la température basale pendant la nuit. Billings peut suffire pour observer la glaire et permet d’être suivi par un couple, mais dans certains cycles complexes à lire l’étalonnage de Fertility Care sera une aide précieuse et permettra une éventuelle prise en charge médicale. L’expertise des formateurs de la méthode Billings WOOMB France offre un suivi complet de la femme dans son cycle et dans sa santé gynécologique.

Très connu, Billings vulgarise beaucoup. La symptothermie, quoique régulièrement citée, l’est souvent de façon approximative. Le système de formation Cyclamen proposé par le CLER pour l’utiliser reste ignoré hors d’un réseau catholique. Woombs est moins connu encore. Quant à Fertility Care, malgré un système d’étalonnage pointu et extrêmement fiable, sa diffusion se heurte à un double problème. Du fait de sa récente arrivée en France, il y a peu de formateurs et en l’absence de vulgarisation il faut s’engager dans une formation coûteuse à l’aveuglette.

 

Un défi … mais un beau défi !

La méfiance reste donc prégnante. En outre, ces méthodes posent des défis à ne pas sous-estimer : prendre le temps d’apprendre, accepter des temps d’abstinence et des observations régulières. La frustration peut être difficile à vivre. Elles sont conçues pour des couples décidés à vivre dans la fidélité. Les époux doivent s’adapter au rythme exigeant l’un de l’autre.

Si subsiste largement la peur d’une Eglise catholique qui peut sembler puritaine, dépassée et frustratrice dans son discours sur la sexualité, la découverte de la richesse des méthodes naturelle est peut-être l’occasion de faire connaître un autre visage de ce discours et un message riche et mal connu qui la charge de sens.

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