Rechercher

Tribune

Gilles Sicart

23 juin 2023

Agnostique à titre personnel mais grand admirateur de Pascal, Gilles Sicart a tenu à lui rendre hommage dans nos colonnes.

Blaise Pascal, né il y a quatre cents ans, est grand, singulier, unique par la dualité qu’il porte en lui. Mathématicien et mystique, homme de science et homme de foi, il pourrait passer pour un être divisé ou écartelé entre deux visions du monde. En vérité, il pose un double regard sur le monde ; il appréhende la réalité dans sa dimension sensible comme dans sa dimension cachée.

C’est en considération de ces deux dimensions qu’il établit dans les Pensées la distinction fondamentale entre le cœur et la raison, tout en accordant au premier une faculté de connaissance irréductible à la seconde. Selon lui, certaines vérités métaphysiques, à commencer par la plus haute d’entre elles, ne sont accessibles que par le cœur : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. »
Les mathématiques permettent certes à Pascal d’unir la raison et la foi : il conçoit son idée du pari selon une logique probabiliste qui ajoute un argument supplémentaire au traitement de la question classique de l’existence de Dieu. Mais c’est en homme de cœur comme en homme de raison qu’il évoque le silence des espaces infinis et dit en être effrayé.

Une révolution intellectuelle 

Pascal n’est pas seulement un de ces esprits modernes qui, dans la suite de Nicolas de Cues, dégagent la notion d’infini comme espace (et non plus seulement comme attribut de Dieu), il est peut-être aussi le premier à en concevoir une angoisse très profonde par le rapport établi mathématiquement entre les grandeurs de l’univers et la misère de l’individu.

Aussi faudrait-il parler d’une révolution pascalienne pour donner toute la mesure d’une pensée qui contient à la fois l’intuition de la physique quantique à travers l’idée des deux infinis (l’infiniment grand et l’infiniment petit) et les éléments d’une philosophie de l’existence, fondée sur l’angoisse d’exister (et non pas seulement la peur de la mort), que développera plus tard Kierkegaard, avant la phénoménologie du XXe siècle.

Pascal et Machiavel

Le double regard de Pascal trouve aussi dans le domaine de la politique une autre manière de s’exercer. Tout en concevant un pouvoir au service de la vertu, il a conscience que l’efficace est au moins aussi nécessaire que la morale. Cela le conduit à établir une distinction essentielle entre la force et la justice pour faire apparaître que le bon pouvoir se compose de deux éléments qui ne peuvent aller l’un sans l’autre. Mais par réalisme, il ne craint pas de reconnaître à la force une supériorité pratique : « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » C’est la garantie que les lois soient observées.

Il y a ainsi une certaine proximité de vues entre Pascal et Machiavel qui peut se résumer par l’idée selon laquelle les apparences du pouvoir sont la condition de sa solidité. Mais à la différence du penseur florentin, Pascal invite à une lucidité en miroir sur la réalité ou même la valeur du pouvoir : le sujet doit conserver par devers lui – comme une « pensée de derrière » – le jugement qu’il porte sur les mérites réels du prince et celui-ci, tout en se montrant digne de son rang, ne doit jamais oublier – comme une « double pensée » – qu’il n’est pas naturellement supérieur aux autres hommes.

De la même façon, dans le Troisième discours sur la condition des grands, Pascal assigne au prince deux exigences qui ne sont contradictoires qu’en apparence. Celui-ci doit être un « roi de concupiscence » en partageant les plaisirs de son entourage pour ne pas se comporter en tyran ; mais il doit aussi mépriser en son cœur la concupiscence et s’attacher à instaurer une royauté de charité qui est la promesse de la vie céleste. Ainsi la politique selon Pascal est-elle un balancement entre réalisme et moralisme, quand elle n’est pas pour le puissant le moyen de gagner le salut.

La dualité du point de vue, qui n’est jamais un dualisme moral ou philosophique, est une exigence permanente chez Pascal. C’est elle qui lui permet de tenir les deux bouts de la réalité (physique et métaphysique), de réconcilier les trois ordres reconnus par lui (l’esprit, le corps et la charité) ou encore de penser ensemble la politique et la morale. Voilà pourquoi Pascal a tout pour intéresser l’incroyant aussi bien que le croyant en un temps d’incertitudes comme le nôtre.

Recherche

Rechercher

Articles les plus lus

NOTRE MISSION

Mission s’inscrit dans la dynamique de l’événement Congrès Mission pour apporter toute l’année une nourriture solide aux missionnaires qui vont au-devant des Français. Grands entretiens, études sociologiques, reportages, articles bibliques et patristiques, fiches pratiques, débats, interviews de philosophes ou de people : tous les genres journalistiques sont convoqués pour être à la mesure des défis colossaux de la sécularisation.

Mission est aussi une promesse, celle de tisser un grand réseau missionnaire en France et d’installer l’évangélisation dans le quotidien des communautés chrétiennes. La promesse de montrer la beauté de la mission et sa diversité créative.

Articles pouvant vous intéresser
Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

SE CONNECTER

JE NE SUIS PAS ABONNÉ ?

Abonnez-vous à la revue Mission et accédez à tous les contenus et services du site en illimité !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez l’utilisation de cookies dans les conditions prévues par notre politique de confidentialité.