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Tribune

​Pour le père Laurent Stalla-Bourdillon, enseignant au Collège des Bernardins et directeur du Service pour les Professionnels de l’information, l’actuel projet de loi sur l’euthanasie révèle la pression de la pensée techno-libérale sur l’Etat. « Il faut, je le crois, rappeler que la politique n’a pas à définir ce qu’est la nature de l’Homme ni sa vocation. Elle doit seulement garantir les conditions de son plein développement. »

 

Une humanité sans esprit

Les travaux de la commission de l’Assemblée nationale furent habilement centrés sur l’évaluation de la Loi Cleys-Léonetti, pour en relever les insuffisances. Ceux de la convention citoyenne devaient recueillir les attentes des Français. La volonté du gouvernement de légaliser l’euthanasie ou par défaut le suicide assisté n’en sera que confortée. En prenant de la hauteur, il est facile de comprendre que cette nouvelle disruption anthropologique est une manière de vendre à l’opinion l’assurance qu’il n’y a rien après la mort. Il s’agit de lui faire avaler qu’il n’y aurait plus rien de notre vie après la mort, ce qui autorise que chacun soit libre de son décrochage de ce monde. Cette vision des choses contient en réalité une audacieuse profession de foi ultra-matérialiste et nihiliste. Il n’y aurait donc rien de la vie après la mort ? Non rien qui justifie qu’on ne puisse décider de l’heure de sa propre mort. Rien à attendre, rien à espérer, pas d’incidence sur notre destinée… à rebours de ce croyaient les hommes depuis des siècles : avec la mort, une vie allait aussi commencer !

Qu’on ne s’y trompe pas : tout projet politique sous-tend une conception de l’être humain. La loi sur l’euthanasie n’est qu’une nouvelle manière d’imposer à l’ensemble de la société une définition étriquée de la personne humaine, une vision de la vie réduite à sa biologie ! L’euthanasie tant souhaitée nous dit-on, à force de sondages au mépris de l’avis des soignants, est l’objet transitionnel qui libère de soi-même, gage d’une suprême autonomie enfin conquise. C’est la grossière propagande d’une humanité sans esprit, donc sans avenir dans la mort. On voudrait donc vous faire croire que vous pouvez quitter ce monde à votre convenance, qu’il n’y aura de compte à rendre à personne… On vous trompe. La mort n’arrête pas la vie. Elle la transforme seulement et ce, à partir du regard que nous aurons porté sur elle. L’être humain est bien plus qu’un organisme biologique. Sa spécificité, quoi que peut discernable à l’œil nu, se découvre précisément dans sa capacité de penser et de concevoir du sens. Ce sens n’est jamais pré-donné, et devient constitutif de notre être. Oui, l’être humain se met lui-même au monde par sa pensée. Cette pensée est irréductible à son organisme biologique. C’est cela précisément que vient contester l’euthanasie et le suicide assisté. Ces propositions législatives sont la traduction dans la loi d’une épouvantable négation de la transcendance dans l’homme, de sa permanence et finalement de sa vocation divine. C’est cette transcendance qui a façonné les civilisations, et sa disparition dans nos sociétés athées préparent naturellement leur effondrement. Là où il n’y a plus d’esprit, il n’y a plus d’humanité. Car l’humanité n’existe qu’en tant qu’elle demeure une énigme pour elle-même ! Elle cesse d’être « l’œuvre de l’esprit divin » si l’homme prétend en avoir une connaissance parfaite et exhaustive. La vie comme la mort ne sont pas au pouvoir de l’homme. La vie comme la mort excèdent le pouvoir et la connaissance des hommes. Quiconque prétend pouvoir s’emparer de la mort détruit aussi la vie. Qui voudrait s’emparer de la vie s’auto-condamne à mort par son ignorance ignorée ou par son illusoire connaissance de lui-même. La sagesse biblique n’est hélas plus reçue dans notre pays. Elle ne dit pas autre chose que ces réalités essentielles et fondatrices dès ses premières pages.

 

 
La propagande, fin de la neutralité de l’Etat

La parole politique emporte, plus que nous le pensons, une philosophie de l’Homme qui d’une certaine manière doit s’imposer à la pensée commune ; elle est massivement portée dans la sphère médiatique dont nous savons la puissance de diffusion grâce aux technologies du numérique. Les lois de bioéthique et les lois dites sociétales ont bien montré les décalages qui existaient désormais entre les représentations de l’être humain. L’écart s’accroit entre les représentations spirituelles et religieuses et celles portées par un techno-libéralisme qui voit dans l’humain un produit comme les autres. La question devient donc : la non-ingérence de l’Etat n’est-elle pas devenue une fiction juridique ? Sa neutralité est-elle encore possible ? Le XXème siècle a fait naître une nouvelle religion de l’homme, sur son origine et son devenir, avec ses prédicateurs et ses nouveaux rituels de sa naissance à sa mort. L’Etat révèle son affiliation à cette croyance. Les jeunes générations moins inhibées à l’égard des religions, se figurent alors que la laïcité est en fait le culte d’une religion de l’Homme promu par un Etat athée, signe de l’irrésistible diffusion d’une anthropologie par la veine politique. On gouverne toujours au nom d’une certaine idée de l’Homme. C’est en cela, je pense, qu’il n’y a pas de neutralité du politique, car il doit toujours décider pour le corps social à l’aune d’une idée de l’homme et de la société. Avec l’euthanasie, c’est la laïcité qui va en prendre un coup. Un upercut qui ne viendra pas des religions. Leur opposition commune à la légalisation de l’euthanasie fera l’objet d’une dénonciation en choeur d’une odieuse ingérence, pour mieux masquer la véritable ingérence de l’Etat dans l’esprit des citoyens.

 

Un antichristianisme latent mais assumé

Il nous appartient encore de penser les effets des disruptions anthropologiques induites par les lois sociétales, avant qu’ils ne nous rattrapent. Il faut sortir d’un humanisme sans transcendance qui n’honore pas l’infini dans l’homme et sombre dans un fatalisme épicurien. Au fond l’énigme de la mort permet de penser ce qui nous dépasse et non pas ce que l’on prétend maitriser sans faille. Il faut, je le crois, rappeler que la politique n’a pas à définir ce qu’est la nature de l’Homme ni sa vocation. Elle doit seulement garantir les conditions de son plein développement. Derrière les apparences d’un Etat généreux, octroyant toujours plus de droits individuels, il faut savoir dénoncer la vision terrifiante sur l’Homme qu’il porte en promouvant l’euthanasie et le suicidé assisté. Benoit XVI avait lucidement décrit ce processus. « La pensée moderne ne veut plus reconnaître la vérité de l’être, mais veut prendre le pouvoir sur l’être. Elle veut remodeler le monde en fonction de ses propres besoins et désirs ». Comment ne pas s’inquiéter de « la prétention dictatoriale d’avoir toujours raison » et de « l’abandon de l’anthropologie chrétienne et du style de vie qui en découle, parce qu’il est jugé pré-rationnel. (…) L’intolérance de cette apparente modernité contre la foi chrétienne se présente de manière toujours plus autoritaire, visant à atteindre, avec la législation qui en découle, l’extinction de ce qui est chrétien par essence. »

« Comment vivre, sans un inconnu devant soi » disait le poète René Char. Ce dernier n’était pas croyant, mais énonçait là un principe fondamental qu’avait déjà formulé Blaise Pascal : « l’homme passe infiniment l’homme ». Notre chère laïcité n’a d’avenir que si le questionnement sur la nature humaine n’est pas interdit ou captif mais demeure une question ouverte et partagée.

 

Laurent Stalla-Bourdillon
Enseignant au Collège des Bernardins
Directeur du Service pour les Professionnels de l’information

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