Provinciale de l’institut missionnaire Notre Dame des Apôtres et professeur de théologie, spécialisée en missiologie, à l’université catholique de Lyon, Marie-Hélène Robert nous montre que la mission est d’autant plus belle que nous laissons Dieu en être le maître et qu’universalité rime avec complémentarité.
Ma rencontre avec Marie-Hélène se déroule dans la nef inspirante du Collège des Bernardins. Le courant passe très bien. Nous avons en commun la question la plus passionnante qui soit : annoncer le salut dans la société actuelle. Notre premier contact s’était fait par mail il y a un peu plus d’un an. Ayant participé au Congrès Mission 2020, Marie-Hélène avait porté à ma connaissance un travail de fond, accompli avec d’autres passionnés de l’Évangile, sur l’accueil des nouveaux convertis dans les communautés chrétiennes. Le temps a filé, un nouveau Congrès – démultiplié en 2021 – a eu lieu et je peux enfin mettre un visage sur son nom. Au fil des échanges, j’embrasse avec enthousiasme
ses intuitions. Je ne regrette qu’une chose : que notre entretien ne puisse durer plus longtemps.
Lors d’un voyage au Mali à 22 ans, Marie-Hélène rencontre une fraternité de cinq Pères Blancs qui font de la mission chacun à leur manière : visite des cases, partage du riz, prière du chapelet, prédication… Le soir, ils se retrouvent, partagent leurs activités du jour et se réjouissent ensemble de ce qui a été semé. C’est une révélation : la manière d’évangéliser de l’autre peut être ma joie, mon aiguillon, sans rivalité, sans jalousie, sans comparaison.
Pour pouvoir toucher tout le monde, il faut que tous les chrétiens s’engagent dans l’évangélisation. Le salut pour tous emporte la mission pour tous. On peut aussi prendre la question à rebours en osant le concept de « mission ontologique » : du fait même que nous sommes, nous avons une mission. Ainsi, être chrétien implique un rayonnement de l’Évangile.
Mais puisque le monde est si divers, il faut que chacun rayonne à sa façon, avec le style que Dieu lui donne. Impossible de comprendre l’universalité de l’appel missionnaire comme une invitation à l’uniformité des méthodes. Au contraire, l’Église ne peut être universelle que si on respecte le travail de chacun. Est-ce à dire qu’il faut renoncer à s’exhorter les uns les autres ou à sensibiliser les chrétiens à l’urgence d’annoncer l’Évangile ? Non ! Mais il s’agit de consentir au mystère de l’agir de Dieu qui dépasse ce que l’on pense, ce que l’on aimerait, ce que l’on décrète. Il s’agit d’accepter que ce qui nous semble paresse est peut-être fidélité aux yeux de Dieu. Là où un désir sincère de faire connaître le Christ est présent, le Seigneur déploie une fécondité dans le temps qui lui appartient et que nous ne pouvons pas mesurer.
La diversité des approches nous rappelle ainsi un point essentiel : c’est le Seigneur qui ouvre les cœurs, c’est lui – et lui seul – qui donne le salut. Le joyeux foisonnement des initiatives missionnaires nous dit quelque chose de Dieu, il nous manifeste combien le Seigneur nous aime tous d’une manière unique.
Marie-Hélène me partage une autre conviction directement liée à cette question de la complémentarité missionnaire. Pour elle, un missiologue ne peut pas être isolé. Pour penser la mission, il est indispensable de se mettre en réseau (Marie-Hélène Robert est impliquée dans différents réseaux de réflexion sur la mission : International Association for Mission Studies, Service of documentation and study on global mission, Réseau de Missiologie Évangélique pour l’Europe Francophone). Il faut être relié à tout ce qui fait la vie de la mission, la vie de l’Église. Si toute la vie chrétienne est concernée par la mission, la missiologie doit embrasser toute la vie chrétienne et tout le peuple de Dieu. La réflexion s’enrichit donc à mesure que nous contemplons la manière dont la mission est vécue dans différentes régions, à différentes époques, par différentes confessions chrétiennes, par différentes générations, auprès de différents milieux, de différentes cultures. Le missiologue entre en dialogue avec les autres disciplines théologiques : qu’est-ce que la Bible, l’histoire, la morale, la théologie pratique disent de la mission ?
Marie-Hélène propose à tous les missionnaires en herbe de sortir du clivage entre les « assurés » et les « rassurants » pour devenir « éveilleurs de l’aube ». De manière un peu caricaturale, on pourrait dire que les « assurés » regroupent ceux qui sont sûrs du salut selon certaines conditions la foi et qui appellent fortement à la conversion, alors que les « rassurants » seraient ceux qui invitent à l’amour du prochain avec la conviction que le salut est acquis sans autre condition. Les « éveilleurs de l’aube », à l’école de saint Pierre (1P, 2, 9) – qu’ils appartiennent aux assurés ou aux rassurants – ont à cœur de discerner dans une situation, dans la vie d’une personne le jour du Christ qui se lève, le travail de Dieu qui se fait. Ils développent un sens spirituel pour révéler ce que Dieu fait et le soutenir. Le point principal est de se rappeler sans cesse que l’évangélisation est une œuvre que Dieu réalise lui- même et à laquelle il nous invite à collaborer, plutôt qu’une activité fondée sur notre initiative et nos convictions.
Alors, nous regardons les personnes à évangéliser non comme un magma indistinct mais comme des personnes uniques que Dieu aime personnellement. Le chemin de la mission consiste alors à aimer toute situation dans laquelle je suis, toute rencontre que je fais, comme une occasion de recueillir le passage de Dieu. Il s’agit pour le missionnaire de se mettre sans cesse à genoux et de prier : « Ouvre mes yeux, moi je ne vois pas, ouvre mes oreilles, je n’entends pas, qu’est- ce que tu dis, qu’est-ce que tu fais en ce moment dans cette personne ? » Les « éveilleurs de l’aube » aident les personnes évangélisées à voir en elles- mêmes et dans leur vie ce qu’il y a de plus beau, le germe divin.
Ce regard encourageant sur le chemin propre de chaque personne est une plongée dans le regard de Dieu lui-même. Une telle manière de voir ne peut qu’être mendiée avec humilité ce qu’elle développe dans son ouvrage Ce que dit la Bible sur le regard (Nouvelle Cité). C’est une grâce qui nous est souvent donnée à travers l’expérience crucifiante que nous ne savons pas aimer, que nous sommes parfois des « boulets ». En laissant à Dieu la haute main sur la stratégie et le plan, nous trouvons alors un chemin pour annoncer l’Évangile à chacun. Un chemin qui résout en quelque sorte en pratique toutes
les questions théologiques vertigineuses que la question du salut soulève. Parmi toutes ces questions, Marie-Hélène a notamment travaillé sur le mystère de l’élection, sur les tensions étonnantes entre pratique évangélisatrice et pratique baptismale, entre salut planifié de toute éternité et salut réalisé dans l’histoire, entre universalité du salut et économie d’élection, entre grâce et liberté.
Être « éveilleurs de l’aube » nous permettra aussi de mieux accueillir les personnes qui ont fait la rencontre du Christ. Parfois rejetés – ils dérangent les paroissiens installés –, d’autres fois surexploités
– ils sauvent les paroisses moribondes –, les convertis sont rarement accueillis avec sagesse et profondeur. Un des enjeux missionnaires contemporains est de créer des processus d’accompagnement pour la croissance spirituelle de ceux qui rejoignent l’Église (Cf. L’accueil des nouveaux convertis dans les communautés chrétiennes, Éditions saint Joseph). Ces processus doivent leur permettre d’entrer dans l’exigence de la vie de disciple, qui est prière, annonce et action au service du Royaume, tout en leur évitant la solitude ou l’égarement dans une forêt de propositions.
Être « éveilleurs de l’aube » nous apprend aussi à voir l’incertitude inhérente à toute mission comme une force. En effet, l’Église a pour rôle d’organiser la mission mais elle est dépendante d’une part de la Providence – on ne sait jamais exactement ce que le Seigneur va donner – et d’autre part de la liberté des personnes – même si on cherche à donner le meilleur, on ne sait jamais exactement
ce qu’elles vont accueillir. L’incertitude de la mission devient une alliée si, conscients que tout est dans la main de Dieu, nous savons relire notre pratique missionnaire à la lumière d’autres manières
de faire et de l’Écriture, en particulier la feuille de route des Béatitudes.
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Mission est aussi une promesse, celle de tisser un grand réseau missionnaire en France et d’installer l’évangélisation dans le quotidien des communautés chrétiennes. La promesse de montrer la beauté de la mission et sa diversité créative.
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