24 juin 2025

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Il y a quinze siècles, alors que l’Empire romain s’effondrait sous les coups des invasions barbares, un roi wisigoth, Théodoric, qui aimait à se faire appeler « le Grand », arrêtait arbitrairement Boèce, un homme de lettres.
Du fond de sa cellule, celui-ci rédigea un dialogue fictif avec « dame Philosophie » : entre deux séances de tortures, il y racontait comment celle-ci venait le visiter et le réconforter. Au bout de quelque temps, Théodoric, lassé, fit mettre à mort Boèce. Un an après, le « grand roi » mourut de dysenterie. L’ouvrage de Boèce, La Consolation de Philosophie, devint le livre de chevet de l’Occident. Pendant des siècles, il fut une pierre d’angle de la société médiévale. Aujourd’hui, il demeure le modèle de la littérature de détention.

La leçon de Boèce est simple : l’esprit ne s’enferme pas.
Boèce était peut-être chrétien, probablement même – les historiens en débattent encore.
Il était en tout cas platonicien et par là savait que l’esprit de l’homme touche à l’éternité.

SOULEVER SEUL LE POIDS DES MENSONGES

Cette intuition est aussi celle de Boualem Sansal, l’un des écrivains les plus courageux de notre siècle.
À 75 ans, Sansal n’a plus peur de grand-chose : il sait son for intérieur inatteignable.
Le vieil homme connaît par cœur le régime de son pays, qu’il a servi comme haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie.
C’est ainsi, confie-t-il, qu’il a découvert à quel point le système était en réalité un réseau véreux de copinage et de censure.
La littérature devient alors pour lui le moyen de soulever à mains nues le poids des mensonges d’État.

Un exemple : dans Le Village de l’Allemand, le romancier met en scène deux frères qui découvrent que leur père, qu’ils voyaient comme un héros de l’indépendance algérienne, est également un ancien SS passé comme expert dans l’Armée de libération nationale.
Le récit est inspiré d’une histoire vraie que Sansal a découverte dans les années quatre-vingt.
Mais la Shoah, dans son pays, n’est pas un sujet :
« En Algérie, explique-t-il, la télévision n’a jamais diffusé le moindre documentaire sur les camps d’extermination.
Dans l’histoire officielle, on ne trouve pas un mot sur elle. Alors comment parler de quelque chose qui n’existe pas ? »

A 75 ans, Sansal n’a plus peur de grand-chose : il sait son for intérieur inatteignable

Guerre civile des années quatre-vingt-dix, décolonisation, montée de l’islamisme…
Roman après roman, tous les sujets gardés tabous par le régime sont mis en lumière par ce vieux conteur à la voix douce et au visage d’Indien des steppes.
Jusqu’au jour où, lassé, son gouvernement l’envoie en prison.

LE SOLJENITSYNE DE BOUMERDÈS

L’écrivain Jon Fosse témoignait que ce qui l’avait longtemps détourné du christianisme était le peu de fraternité qu’il ressentait dans les églises comparé à ce qu’il voyait dans les milieux associatifs.
Faudra-t-il en dire de même concernant notre goût de la Vérité ?
L’exemple de Sansal, ce Soljenitsyne de Boumerdès, ne peut que nous sortir de notre léthargie.
Le vieil homme nous rappelle toute l’exigence de la vie de l’Esprit, en témoignant que la Vérité vaut plus que sa propre incarcération.
À côté de lui, force est de constater que nous autres, pris dans nos paresses intellectuelles, semblons bien morts intérieurement.
Sansal fait la grève de la faim, mais c’est nous qui dépérissons !

Boualem Sansal, musulman de culture, agnostique par raison, chercheur résolu du Vrai, se déclare volontiers « en recherche de Dieu ».
Ce lecteur de saint Augustin confiait ainsi il y a deux ans à Famille Chrétienne :
« Il y a en moi un besoin de vérité »,
avant d’ajouter :
« La vérité est ardue, difficile, souvent rébarbative. Vous en savez quelque chose, vous, les chrétiens, avec des notions comme la Trinité. Comment la comprendre ?
Comme disait Pasteur, un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup y ramène… »

Quel témoignage pour nous qui souvent, par confort, nous en tenons à des opinions faciles ou du prêt-à-penser !

Comme Boèce en son temps, du fond de sa prison Sansal demeure peut-être le plus libre des Algériens.
Et il nous fallait le témoignage de ce romancier agnostique de culture musulmane pour comprendre cette parole du Christ :
« La Vérité vous rendra libres. »

Bertrand Duguet

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Cet article est issu du magazine suivant :
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Revue Mission n°13 – Les néophytes

Depuis l’Antiquité, les néophytes sont le signe de la croissance de l’Église. Ces « nouvelles plantes » continuent de pousser aujourd’hui en France avec la grâce de Dieu. Elles sont de plus en plus nombreuses et variées et bousculent les équilibres de notre vieux jardin catholique. Comment faire grandir les néophytes et comment grandir avec eux ?

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