Il y a eu un chrétien (je crois que c’est Olivier Clément) pour dire que les femmes d’aujourd’hui n’ont souvent le choix qu’entre le voile et l’impudeur : femmes voilées en Orient, femmes dévoilées en Occident, livrées dans les deux cas sans défense au désir du mâle.
Il me vient à l’esprit qu’avec Dieu, c’est un peu la même chose, sauf que les fronts sont inversés : Dieu occulté en Occident, Dieu exhibé en Orient. C’est quand même un fait que le monde musulman met facilement Dieu à toutes les sauces, qu’il en fait la caution de tous les combats, même les plus sordides, et qu’il l’invoque au besoin pour couvrir la violence et les calculs politiques. Tandis que, chez nous, c’est plutôt l’inverse. Il devient indécent de parler de Dieu, ça ne se fait pas à la radio, ni à la télévision, ça fait drôle d’en parler comme ça devant tout le monde. Dieu pour l’intimité, si vous voulez, mais cachez-moi cette dévotion que je saurais voir… Pas devant les enfants, chéri…
Un jour, avec un groupe d’amis, nous avons chanté le bénédicité avant le repas dans une auberge de jeunesse. Scandale du responsable, qui vient nous expliquer que cela ne se fait pas. Lui d’ailleurs est chrétien, mais il doit se tenir à une stricte laïcité. Je lui ai demandé s’il tolérerait une chanson à boire.
- Ah oui, pas de problème ! Pourquoi ?
- Mais s’il y a des abstinents volontaires, vous ne craignez pas de les choquer ?
Je crois qu’il n’a pas compris…
La question est de savoir quand se fera le retour du refoulé. Car ce n’est pas vrai que Dieu ne travaillerait plus le cœur et la conscience des hommes. C’est même l’inverse: à force de n’en pas parler, il y a un malaise. Les jeunes ont plein de questions sur lui, plein de craintes, de préjugés aussi. Quand il y a quelqu’un d’à peu près sérieux pour leur en parler, c’est la joie, ce sont des explications pendant des heures.
L’exhibition n’est d’ailleurs pas mieux que refoulement. Et peut-être que l’un prépare l’autre. C’est quand on a fait de Dieu un drapeau, un fétiche, une idéologie, qu’on en arrive, à bout de souffle, à ne plus pouvoir tolérer cette référence vide, ce monstre sans visage et qu’on finit par ne plus vouloir en entendre parler. C’est assez sensible chez certains rescapés de l’Iran des Ayatollahs. Alors peut-être que va sonner l’heure de l’évangile, où on pourra enfin parler de Dieu avec respect et humilité, dire l’insondable profondeur de l’amour du Père pour le Fils, et le surgissement abyssal du Saint Esprit qui est Seigneur et qui donne la vie.
Père Michel Gitton