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Société

Samuel Pruvot

13 juin 2022

Le salut n’est pas un rêve inaccessible ou un Royaume hypothétique dans l’au-delà.
Le salut de Dieu commence dès ici-bas dans l’amour du prochain et l’annonce du Christ pour anticiper l’éternité au cœur de nos combats trop terrestres. Une vérité à méditer à l’heure de la présidentielle.

SP : Dieu est-il un intrus dans cette présidentielle ?

MGR : L’élan premier de la foi chrétienne est la convic- tion que le seul Seigneur digne de l’être humain est Dieu. Ce n’est ni le roi, ni l’État, ni l’argent, ni la culture, ni le sexe. Le seul maître digne de l’homme est Dieu, qui nous donne des frères et des sœurs pour que nous apprenions à nous aimer comme il nous aime.

SP : L’amour ne semble pas vraiment rimer avec la politique ? !

MGR : En tant que citoyens, nous ne pouvons pas prétendre goûter les avantages du spectacle politique – qui va de pair avec l’hystérisation médiatique – et en même temps nous plaindre que les responsables politiques ne soient pas à la hauteur! Le Pape propose une solution assez prophétique en la matière. Pour faire bon usage de la liberté en politique, il faut se demander quelles seront les conséquences de nos décisions sur les plus pauvres. Avouez que si nous partions tous de là, la nature du débat politique serait transformée !

SP : Comment expliquez-vous l’hystérie que suscite la campagne présidentielle ?

MGR : L’hystérie provient en grande partie du fait que tout se joue sur une personnalité que nous connaissons plus ou moins bien en fonction de l’image qu’elle projette ou que les médias renvoient d’elle. Quitte à ce que ce candidat idéalisé déçoive ensuite…

SP : Comment expliquez-vous cette tentation qu’ont les catholiques d’attendre l’arrivée d’un messie dans la bataille pour la présidentielle ? N’est-ce pas une approche dévoyée du salut ?

MGR : Le messianisme n’est pas le propre des catho- liques. C’est une tentation commune à beaucoup de Français! L’organisation de la présidentielle favorise une personnalisation exagérée des can- didats au détriment d’un débat rationnel qui permettrait d’aboutir à un compromis raison- nable. En Allemagne, au contraire, le système politique fonctionne par coalitions. En France, c’est au mieux la cohabitation… à savoir deux politiques différentes qui tentent de se neutraliser l’une l’autre. Les évêques de France, sur ce point, ont toujours encouragé les acteurs politiques à entretenir un débat rationnel. La chose n’est pas simple. Le compromis suppose de renoncer à certaines mesures qui nous semblaient pourtant meilleures.

SP : Ce désarroi ne pousse-t-il pas les catholiques à vouloir sortir de l’histoire et à remettre le salut du monde à plus tard ?

MGR : Les catholiques fervents ont pu croire qu’ils allaient enfin échapper aux errements religieux des années soixante-dix et que la foi allait bril- ler dans sa beauté attractive. J’étais dans cet état d’esprit quand je suis entré au séminaire à Paris ! Cela s’est produit en partie, mais pas à la hauteur de nos attentes… Pourquoi? Le monde, entre- temps, s’est littéralement dérobé sous nos pas. Alors même que des mouvements, des commu- nautés naissaient, qui exprimaient un renouveau de la vie chrétienne, le monde se transformait en profondeur. L’effondrement du bloc soviétique – une bonne nouvelle en soi – a engendré un monde de libertés, mais de libertés sociales, com- merciales, qu’il n’a guère été possible de relier à la liberté profonde par laquelle un être humain s’engage. La technique a développé des technologies de tous ordres, y compris concernant l’intime de la vie humaine, ouvrant des possibles inattendus et nourrissant des attentes irrépressibles: la fécondation in vitro ou la théorie du genre. C’est vrai que Jean-Paul II, avec sa théologie du corps, nous a préparés à mieux comprendre notre sexualité. Il n’en reste pas moins que le monde est parti ailleurs, et les Français avec ! Cet ailleurs n’est pas toujours réjouissant. Je remarque que la foi que nous leur proposons ne les atteint pas comme nous le voudrions…

SP : En quoi le fait de croire au Ciel peut-il changer quelque chose aux combats politiques ?

MGR : J’aimerais qu’un candidat à la présidentielle se déclare pour le Royaume de Dieu! Il est impor- tant pour un politique de confesser qu’il ne peut pas fabriquer le Royaume de ses mains, que ce n’est pas son rôle. Ce serait plutôt sain de parler du Royaume avant de réclamer des suffrages. Cela serait une manière de reconnaître qu’il existe un autre niveau de construction de l’humanité. Un niveau métapolitique.

SP : Mais devons-nous renoncer à croire que la politique peut améliorer notre vie ?

MGR : Nous sentons bien que notre monde d’abon- dance touche à sa fin. Ce constat est cruel. Certes, nous échappons à la guerre et à la famine, mais nous pressentons que beaucoup de ce que nous avons construit depuis la Seconde Guerre mon- diale risque de disparaître. Certains essaient de se placer parmi les gagnants du monde nouveau en gestation; les autres sont dans l’angoisse, car ils ont la conviction que le monde d’abondance va leur être retiré alors même qu’ils n’ont pas pu en jouir vraiment. À vrai dire, personne ne sait où nous allons! On ne sait pas à quoi ressemblera l’humanité demain: serons-nous des robots, des transhumains, des survivants? Dans les nombreuses séries qui sortent depuis quelques années, le futur est représenté sous la forme d’un nouveau Moyen Âge apocalyptique ou d’un Far West effrayant où règne la loi du plus fort. Nous nous projetons dans un imaginaire régressif du Troisième Reich, avec son lot de violences et d’arbitraire. On se bat à coups de pierres ou d’épées laser, mais c’est toujours la même violence. Ces séries traduisent l’angoisse de beaucoup de nos contemporains qui n’espèrent plus bâtir un monde meilleur, contrairement à leurs parents et grands-parents.

SP : Faut-il abandonner l’idée de bâtir un monde meilleur par l’intermédiaire de transformations sociales et économiques ?

MGR : Sans doute les Français attendent-ils trop de l’État. Les catholiques aussi. Nous avons l’illu- sion que l’élection présidentielle va régler tous les problèmes. Cette attente est évidemment exagérée. Une bonne part de la vie humaine ne dépend pas du politique! Le politique peut au mieux essayer de l’organiser, ou laisser faire.

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Découvrez la suite de l’entretien dans le numéro 2.

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